Il a fait pleurer Lucy ce con.


Lucy, c'est la petite soeur de Lucille. Une Gibson Flying V, la guitare électrique qui accompagnait les mains de géant d'Albert King. Lucille, c'était la guitare de B.B. King. Paraît qu'ils sont frangins les deux, enfin demi-frères, du moins si t'écoutes Albert. B.B. King lui il dit que c'est juste un pote. Va savoir.


En tout cas Lucy, elle en a vu des choses avec Albert. Elle est solide déjà, il faut au moins ça pour supporter la force de cette montagne de 2 mètres et 120kg. En plus, c'était pas un tendre, lui ce qu'il aimait c'était tordre les cordes, les plier avec ses doigts surpuissants quitte à donner l'impression d'avoir désaccordé sa guitare. Et ça, ça la faisait chialer.


Une brute, une force de la nature. Et ce type, il faisait de la musique. Oh, pas tout le temps, pas suffisamment au début, il bossait aussi à côté pour subvenir à ses besoins. Ça c'était avant qu'il soit suffisamment reconnu, avant qu'il pousse les portes des studios de Stax Records pour faire entendre sa voix. Un gars comme ça, forcément tu l'écoutes. La peur qu'il te démolisse la baraque, tu comprends.


Alors tu lui laisses sa chance, tu le regardes s'asseoir parce qu'il peut pas jouer debout qu'il dit, tu attends que ses musiciens s'installent, tu patientes pendant qu'il prépare Lucy, qu'il la bichonne un peu avant de lui donner la parole, et t'espères que ça va vite passer.
Et bon dieu tu te félicites de lui avoir laissé sa chance ! Il sait tout faire le con ! Un trait d'union entre le blues et la soul, la funk. Le mélange parfait entre le blues du Mississippi et la funk suintante du bayou, avec une pincée de soul langoureuse. Y'a pas que des notes les unes à la suite des autres, y'a un truc en plus. Une pulsion soul, blues, un sens inné de la mélodie. Une voix puissante et douce. Quelque chose de profondément naturel.


Un truc qui t'embarque dans un grand nuage de fumée, entre des complaintes lacrimogènes et des hymnes funk enivrants. Et puis de temps en temps, il attrape les cordes de Lucy, les plie à sa volonté et arrache sa guitare une blue note qui défie toutes les gammes, toutes les harmonies, qui perce la fumée d'un éclair de lumière. C'est Lucy qui pleure. Une note violente, méchante, qui te donne envie d'aller dans un bar fracasser des bouteilles sur la tronche du premier malpropre venu, un truc sale, infect, méprisable. Un signal pour réveiller tes plus mauvais instincts.


Et puis soudain, la musique s'arrête. Finis l'enthousiasme délirant de la funk, la brutalité du blues et le crachat immonde et saumâtre de son amertume par sa guitare. Finies aussi la douceur et la fluidité de sa voix soul, la délicatesse de son timbre.
Tu prends quelques minutes, tu te rappelles de tout ce que tu viens d'entendre, du flot continu et hétéroclite d'émotions que cette montagne de bonhomme vient de faire jaillir dans le studio. Tu sens que t'es perdu dans la fumée, que t'as besoin d'un signal, d'un cri, d'un appel. Alors tu le supplies, tu lui demandes de reprendre Lucy, et si elle est d'accord, d'en extraire quelques gouttes de funk supplémentaires, et, pourquoi pas, de lui faire encore pleurer quelques larmes.
Promis, on s'y joindra.

Créée

le 1 avr. 2016

Critique lue 563 fois

33 j'aime

9 commentaires

Black_Key

Écrit par

Critique lue 563 fois

33
9

D'autres avis sur I Wanna Get Funky

I Wanna Get Funky
MaximeRibard
9

Did get funky

Cuivres, guitares et rythmes blues, King donne ici à entendre un de ces albums qui sentent bon la bière et le tabac froid. Si on peut sentir une certaine atmosphère relativement plus funk sur...

le 26 juin 2017

1 j'aime

Du même critique

What a Wonderful World
Black_Key
9

Time for hope

Ce matin, j'ai pas envie de rigoler. Ce matin, j'ai une sacrée gueule de bois. Pas du genre qu'on fait passer en buvant je ne sais quelle mixture miracle, pas du genre qui attaque le foie en même...

le 14 nov. 2015

132 j'aime

10

Il était une fois en Amérique
Black_Key
10

Brumes et Pluies

Le temps passe. Facilement, il se confond et perd sa structure. Les souvenirs, regrets et joies se mélangent et forment un dédale infini. Les époques se recoupent, se font écho. Elles s'entrelacent...

le 17 déc. 2015

87 j'aime

23