Le parc est ouvert ! Tant attendu était Jurassic World, près de 23 ans après l’original, le mythique Jurassic Park, avec des dinosaures plus beaux que nature et à présent une licence à sauver depuis le fiasco du 3. Pour cela, il fallait assurer la succession de John Williams, pour marquer à la fois continuité et renouveau, et c’est à Spielberg bien sûr que ce choix incombait. Et il fut des plus judicieux, puisqu’il se porta sur un compositeur vraiment expérimenté pour ce qui est des suites de Bo (Star Trek, Mission Impossible, La Planète Des Singes, …), et de l’univers de Jurassic Park (il s’est chargé des jeux des deux premiers opus), son talent n’est plus à prouver, mais sa notoriété, elle, ne demande qu’à croître : il s’agit de Michael Giacchino !


Si la musique de Jurassic Park est un mythe tant emblématique, c’est parce qu'elle forme un véritable tout, tant au niveau de la richesse instrumentale et thématique, que de la variété des registres, et donc de ce que ça implique au niveau de la structure des morceaux (fluide et mielleux pour les phases d’observation, saccadé et endiablé pour les séquences d’actions).


Commençons par l’orchestration : toutes les familles d’instruments retrouvent leur rôle d’origine, avec toutefois les apports dus au style propre de Giacchino. En effet, les cuivres incarnent soit la menace et le danger, soit la venue d’un évènement d’ampleur (sensation très bien interprété par les cors tout au long de la Bo). Les cordes apportent de la douceur aux scènes calmes où elles sont au premier plan, mais passent au second lors des musiques d’action où elles interviennent de manière beaucoup plus irrégulières et hachées. Elles provoquent aussi cette sensation d’instabilité avec ces longues notes continues aux violons, avec une harmonie instable dont l’équilibre ne demande qu’à se rompre (la fin de « Chasing the Dragons » par exemple). Également, pour instaurer la tension, une grande profondeur est donnée aux cordes graves jouant des mélodies courtes et rapides soudaines (fin de « Gyrosphere of Influence »). En fait, les cordes seront toujours omniprésentes d’une manière ou d’une autre, mais elles sont moins présentes en tête d'orchestre (par rapport aux Bo en général, pas forcément par rapport à Jurassic Park).


Les percussions sont bien évidemment toujours présentes, pour donner cet aspect primitif, intense et brutal indispensable aux poursuites de dinosaures (« Clearly His First Rodeo »), mais ajouté aux timbales viennent les roulements de tambours agressifs que Giacchino affectionnent tout particulièrement dans Star Trek. A noter l’utilisation fréquente de grelots réguliers en ostinato rappelant le Monde Perdu, ce qui représente donc un très joli mélange entre l’orchestration du 1 et du 2.


Mais là où il surprend, c’est sur l’utilisation des bois : déjà abondants dans l’œuvre d’origine, ils sont encore plus sollicités ici, à la fois légers (flûtes alto pures et aériennes, clarinette également) et tendus pour ceux à anches doubles (elles conférent au cor anglais, haut-bois et clarinette leur timbre si particulier, qui, utilisé dans un certain cadre, donnera un effet assez ambigu, à la fois doux et menaçant). Elles accompagnent tous les registres : sentimental (« Owen You Nothing » avec cor anglais et flûte alto), émerveillement (« As the Jurassic World Turns » vers 02:36, « Clearly His First Rodeo »), action et tension (à-coups, couplages particuliers, mélodies rapides à tendances chromatiques, …). Cela évite un côté trop dramatique ou pompeux provoqué par une surabondance de cuivres, qui se doit d’être parfaitement maîtrisé lorsqu'on la choist (Indiana Jones est virtuose en la matière, mais il s'agit d'une œuvre qui se veut plus entraînante et aventurière, avec une peur et une tension très différente).


A noter la présence de harpe et de celesta (participant bien sûr au côté magique de la chose), mais aussi de ... de piano (--‘ ... bon, quelques symptômes de pianite aigue, mais quelques-unes de ces utilisations sont pertinentes, notamment lors de la restitution du thème d’Hammond, au moins. Pas de piano dans un cadre romantique n'est à déplorer, c'est déjà ça ^^).


Pour ce qui est des musiques d’action, Giacchino a eu l’intelligence d’éviter l’écueil que Don Davis s’est pris en pleine gueule : copier pièce pour pièce la structure des musiques d’action de John Williams. En effet, il adopte certes un style tout aussi saccadé évoluant assez rapidement, mais enchaîne des arguments plus longs, ce qui lui permet de développer son style au moyen de procédés orchestraux qu’il affectionne : on sent l’influence de Williams, mais la plupart de ces idées sont nouvelles par rapport au premier, et les anciennes idées sont différemment exploitées : « Love in Time of Ptesosauria » en réunit beaucoup : glissandos aux violons, à-coups très dissonants et stridents, coups d’éclat d’orchestre (c'est-à-dire tout le monde joue une note piquée en même temps ; il en fout partout dans « Costa Rica Standoff »), changement irrégulier de rythme, ostinato passager pour créer la tension par la répétition, à-coups aux bois également très usités (« Raptor Your Heart Out », à l’image de « General Grievous » où Williams avait composé tout un passage avec ces à coups), unissons aux trompettes assez graves pendant que cordes et timbales installent une dynamique folle), et de laisser le temps de suivre la musique. Chez Williams, la vitesse très rapide d’enchaînement d’arguments était millimétrée, frôlant l’inaudible pour procurer cette sensation de stress et d’anarchie alors que tout est régi par les points de synchro et une ligne conductrice (et qui fait que concrètement, au final, c'est jouissif ^^). Giacchino essaie à raison d’adopter une ligne conductrice, c'est-à-dire un axe de développement dans ses musiques d’action ... mais c’est toutefois moins concluant (le style très saccadé prend encore trop le pas sur ce que les instruments veulent dire, et on finit par se perdre. C'est un style oppressant qui ne peut être maîtrisé qu'avec une grand maîtrise mélodique). Ça reste néanmoins potable !


La très grande nouveauté au niveau action, c’est ce combat dantesque entre les deux Rex, que l'on entend dans "Our Rex Is Bigger Than Yours", magnifiés par des chœurs saccadés agressifs et tribaux (rappelant "The Temple of Doom", mais aussi "The Kronos Wartet" de Star Trek Into Darkness, bien qu'ils soient un peu plus réguliers et mélodieux ici) : ils participent grandement à l'intensité de la scène, car je peux vous assurer qu'on les entend bien, même derrière les coups de griffes et de dents dans la gueule, pourtant fort bruyants.


Mais c’est vraiment au niveau thématique que l’on sent l’intelligence de composition : enfin, les thèmes originaux sont utilisés à bon escient, par touches subtiles, par synchronisation pertinente sans tomber dans le raccolage et la citation facile, ce que n’arrêtait pas de faire le 3 (je vous reparle du leitmotiv du parc, synchronisé avec l’arrivée des tanks et des hélocos de l'armée ET de la Navy ?!). C’est donc la différence entre ré-exploitation et récupération. En effet, Giacchino ne saute pas sur l’occasion pour remettre le thème du Parc à chaque qu’il voit un hélico, et préfère attendre l’évocation d’un élément précis dans le dialogue pour le mettre au bon moment (la succession d’Hammond et l’arrivée dans le nouvel enclos de l’Indominius ; le T-Rex relâché pour sauver à nouveau la mise, à l’image du deus ex machina du premier film, …). On sent qu’il s'est complètement approprié la signification que Williams portait à ses thèmes et ce qu’ils sont censés évoquer, au-delà du nom qu’on leur donne : le thème du Parc évoque l’enthousiasme, l’impatience de visiter une nouveauté si attrayante. Le thème d’Hammond évoque le rêve, le projet d’Hammond teinté d’innocence de redonner vie à une espèce disparue par un pouvoir quasi magique. Il débouche sur le thème des Dinosaures qui représente la réalisation du rêve d’Hammond, la magnificence du résultat de sa création, que les voix apparentent presque à un miracle.


« Welcome to Jurassic World » représente parfaitement cet hommage à travers une synchronisation sublime. La contrainte des images imposant un recoupage de « Welcome to Jurassic Park » a magnifiquement été gérée, cette piste n’étant à la base en synchronisation avec aucune scène (c’est "Journey to the Island » qui expose ce thème dans le film) : à l’origine, le thème d’Hammond s’ouvre sur le thème des Dinosaures qui apparaît au complet, puis après un léger développement en transition utilisant des portions du dit-thème, pour préparer sa nouvelle restitution au complet, on le réentend, avec cette fois les chœurs en plus qui le soutiennent. Ici, « Welcome to Jurassic World » a intelligemment été pensé comme un crescendo, illustrant le petit Gray qui ne peut plus contenir son impatience : les 4 premières notes au cor marquent une ouverture noble, l’arrivée sur l’île, puis le thème d’Hammond, la transition avec le thème partiellement exposé qui prépare la restitution du thème qui s'attend à être plus grandiose encore, qui fait monter l’intensité, et enfin : les volets s’ouvrent, et l'on entend le thème pour la première fois au complet, magnifié par des chœurs plus valorisés encore que dans la version originale, alors que l’on découvre émerveillé le parc enfin ouvert. Et ça, c’est juste un leitmotiv ! Je pourrais vous parler également du thème d’Hammond, intelligemment restitué au piano lors de la re-découverte de l’ancien hall d’entrée du parc par Zack et Gray, en hommage à la scène finale du premier, montrant la fragilité du rêve d'Hammond qui a failli se briser. Egalement le subtil leitmotiv du thème du Monde Perdu lors de l'arrivée à la rescousse du raptor (qui, subtile, l'est beaucoup moins), évitant ainsi une reprise catastrophique du thème du Park façon US Navy (rien que d'en parler, ça m'énerve ^^)


Un autre leitmotiv somptueux du thème des dinosaures, mais qui cette fois donne naissance à un nouveau thème, celui des attractions : il reprend les mêmes notes, mais change complètement de rythme, pour rejoindre le thème historique du parc au niveau du ton (avec cette variation, il décrit vraiment la joie enfantine de jouer avec les dinosaures herbivores, tout comme le montre si bien le film). C’est tellement intelligent : il assure la continuité, le lien avec les dinosaures, mais donne un tout nouveau visage au thème grâce au rythme pour évoquer un sentiment nouveau, et légèrement différent ! Si c'est pas classe, ça !


Les nouveaux thèmes sont assez nombreux, à commencer par le plus marquant (bien que ce ne soit pas le principal), celui de l’Indominius Rex, dans la même veine que celui du T-Rex : imposant par nature. Un motif simple, descendant du grave vers le plus grave, lent et incarnant le danger, dont utilisation reste toutefois cantonné aux tubas à l’unisson (en effet, le tuba est un instrument au timbre assez étouffé comme le cor, c’est pourquoi il en faut au moins plusieurs pour donner cette profondeur-là). On ne retrouve pas la variété de leitmotivs que le thème du T-Rex, ce qui est volontaire : utilisés comme ostinato aux trompettes dans le premier, ils représentaient une menace beaucoup plus vive et nerveuse, celle des raptors ; alors que la simple présence du T-Rex (et par corollaire de l'Indominius) suffit à être imposante.


Vic Hoskins possède également son thème, afin de donner à la menace qu’il représente l’ampleur qu’elle mérite. Il apparaît pour la première fois dans « Clearly His First Rodeo », à l’image de Vic lui-même : le motif est long, fluide mais incertain, et surtout se termine par une seconde augmentée, qui nous certifie sa volonté de nuir (la seconde augmentée caractérise Smaug et Sauron, n’oublions pas =) ). A l’harmonie puissante, les notes sont pures et profondes (conférée par les unissons et les octaves parallèles aux cordes, ainsi que l’accompagnement sobre des violons jouant des notes continues assez aiguës), rendant le thème sombre de par son orchestration (cordes et bois à anches doubles). Mais il sera également restitué de manière beaucoup plus dynamique et militaire lors du débarquement de sa petite armée, leitmotiv faisant écho avec son projet d’utilisation des raptors.


Également le thème des Deux frères au piano (oui, encore ^^) que l’on entend dès la deuxième scène dans « The Family That Strays Together », qui représente le thème d’innocence le plus pur et enfantin jamais entendu dans Jurassic Park. Il comporte du celesta, de la harpe, il est construit façon berceuse, avec flûte alto et clarinette suaves, violons rassurants ... C’est un peu extrême pour le coup, il est tellement innocent que je pense qu’il vous fera chier des arcs en ciel et des lapins roses s'il vous l'écoutez trop souvent. M’enfin, c’est joli et bien mieux que beaucoup de choses, ne nous plaignons pas : comme dit le dicton, « Mieux vaut un Disney qu’un Resident Evil ».


A noter le thème du Nouveau Parc, un peu à part, puisqu’il ne fait pas partie à proprement parler du développement musical de l’intrigue : il s’agit des musiques crées et entendues par les personnages eux-mêmes pour le parc (diffusées dans les attractions). Elles sont bien présentes dans la Bo (les trois dernières « It’s A Small Jurassic World », « The Hammond Lab Overture », « The Brockway Monorail »), et se révèlent être assez rafraîchissantes. C’est candide et festif, bien mené et orchestré (c’est surement ce genre de musique qu’on aimerait entendre dans un parc comme celui-là) : chaque variation est unie par un début identique représentant le parc, avant qu’une suite propre à chacune ne les emmène dans leurs propres directions.


Mais le nouveau thème le plus exposé et développé, c’est celui d’Owen : très souvent repris aux cordes, il se veut humble et posé, cadencé, avec une certaine noblesse dans l’esprit (« Gyrosphere of Influence » le montre bien) à un homme de valeur comme Owen, dont toute la maîtrise des raptors repose sur le respect. Souvent ce n’est que la première moitié du motif qui est exposé, sa résolution beaucoup plus marquante n’apparait qu’aux moments stratégiques. Il a été pensé pour être le nouveau thème marquant de cette Bo, avec ses nombreux leitmotivs aux cordes et piano pour montrer sa sensibilité (selon la scène, l’un ou l’autre sera préférable), au cors et aux chœurs son courage et sa noblesse dans sa version majesteuse (« Our Rex Is Bigger Than Yours »), ... Il a droit à une belle partie de la suite composée pour le générique "Jurassic World Suite".


C’est donc une grande réussite pour Michael Giacchino, qui a repris avec justesse tous les codes musicaux de Jurassic Park sans les réutiliser pêle-mêle par convenance, avec également de nombreux ajouts directement issus de son style et de son expérience (ce n’est pas son premier film d’action ^^). Tous les registres sont bien menés, développant chacun une identité propre et un développement cohérent (ce n’était ni le cas avec le 2 où l’émerveillement s’effaçait, le thème principal s’orientant vers l’aventure, et dans le 3 où les musiques d’action étaient tout simplement inaudibles). Néanmoins, on ne retrouve pas le facteur Wow du premier, bien évidemment, mais le travail qui a été fait au niveau thématique et de la synchronisation est honorable : on le sent pleinement investi (il apporte un soin tout particulier au développement mélodique de la très jolie "Owen You Nothing", n'accompagnant pourtant qu'une pure scène de dialogue et de transition) Michael Giacchino apporte un soutien de poids au film, étant l’un de ses arguments majeurs, et nous prouve à nouveau qu’il est un grand compositeur, et qu’on aimerait bien le retrouver pour la suite des aventures d’Owen et du Jurassic World. Enfin, seulement dans l’hypothèse où il y aurait une suite, hein ! Si seulement l’idée était envisa ... ah, il y en aura une ? ... Ouf, c’est tellement surprenant que ça me coupe les jambes, tiens ^^

Soundtrax
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le 19 juin 2015

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