On vivait à côté.
J'ai moi aussi flâné sur cette corniche, regardant au loin, un horizon bleu comme une page blanche. Une page blanche où tout est possible.
Comme cette déclaration que je te fais en tête-à-tête, dans un bistrot "les pieds dans l'eau", sirotant un verre de rosé à ras la gueule de glace et lorgnant gentiment sur les courbes avantageuses des naïades en congés payés.

Tu sais Tonton, je voulais te parler depuis belle lurette mais je n'ai jamais vraiment osé.
C'est souvent aux gens qu'on aime le plus que l'on a des difficultés à se confier, à dire les choses du coeur.
Je dois t'avouer que malgré ton absence, ton retard de plusieurs dizaines d'années à notre rendez-vous, ce "lapin" king size façon Tonton d'Amérique, tu es toujours resté à mes côtés. Je sens cette odeur de tabac gris et ces volutes grillés sortant de ta bouffarde. Cette présence virtuelle qui a tué l'absence.
Une absence qui n'existe plus entre nous, qui ne veut plus rien dire.

Je t'entend, tu sais Tonton !
Je t'écoute.

Tu ne sauras jamais les souvenirs que nous avons ensemble.
Ca manquait d'hommes à la maison, ces maisons Italiennes où les générations vivent les unes sur les autres, où si tu ne cries pas, on ne t'entend pas, tu n'existes pas.
Mais il restait de vieux disques dans cette maison, des disques du temps où y vivait des hommes.
Quelques vinyles poussiéreux perdus entre ces albums pour femmes, ces disques de chanteurs trop bien coiffés aux dents beaucoup trop blanches.
C'était un vieux monsieur au sourire intelligent, à l'oeil vif et une pipe à la bouche qui m'a pris la main et m'a emmené dans son univers. Qui s'est gentiment offert en exemple.
Parce qu'il est difficile de grandir devant un miroir qui ne reflète que soi, grandir sans véritable modèle, se modeler sur du vide.

Sans le savoir, Tonton, tu m' accompagnes depuis que je suis tout môme.
L'école me parlait de toi. Tu m'a fait pleurer avec ton petit cheval blanc. La simplicité de l'intelligence, ces mots simples qui touchent au coeur comme une émotion un peu trop forte ou un peu trop pure.
Mais c'était tellement joli, même pour un gosse de sept ans. J'aimais écouter tes histoires que je ne comprenais pas pour la plupart. J'aimais entendre ta voix, elle me faisait du bien, elle me rendait heureux.

On s'est perdu de vue quelques temps.
Comme un enfant lassé des sempiternels conseils de ses parents, pensant qu'il a compris, qu'il sait déjà tout ce qu'on lui dit. Je suis parti de mon côté, abandonné aux sirènes vicieuses d'un "Top 50" générationnel.
Parce que on ne danse pas sur tes chansonnettes dans les booms, Tonton !
Et que les filles, elles aiment bien danser.

Mais tu n'étais pas bien loin.
Je reniflais les effluves d'un tabac bon marché et il me semblait bien entendre quelques accords de guitare au loin.
Alors je suis revenu frapper à ta porte. En entrant, les meubles, les bibelots étaient là, à leur place. Mais il y avait beaucoup d'autres choses, des choses que je n'avais pas vu quand j'étais minot.
Des trésors un peu partout, des toiles de maîtres aux murs, de l'or, de l'or partout.

Ces richesses en bon vieil anar, tu les a donné à tout le monde, et tu me les a offertes.
Tu m'as expliqué les choses. Beaucoup de choses.
Tu m'as appris comment regarder. Comment regarder les gens, ces foules que tu craignais tant.
Ce "Pluriel" qui ne vaut rien à l'homme, ces meutes. Ces rassemblements d'individus sous une même bannière, avec un même cerveau qui n'amènent jamais rien de bon.
Tu m'a appris à regarder les filles. Voir la beauté des demoiselles dans un simple geste, une attitude ou un mot. Comprendre qu'il n'y a rien de plus beau qu'un décolleté qui s'ouvre, qui s'offre à toi. Que la chair est faible et l'homme encore plus. Qu'il sera toujours plus enrichissant de regarder un beau fessier que de se fader une plombe de journal télévisé.
Tu m'as parlé de la mort. Tu m'as dit qu'elle n'était pas si méchante, qu'elle faisait juste son boulot. Tu m'as expliqué que c'était juste une vieille dame triste, Haït de tout le monde, mais qui verse toujours une larme quand elle coupe le fil qui nous tient à la vie.

Et puis, pour m'avoir accompagné dans mon école buissonnière tellement plus drôle et enrichissante que cette rigidité scolaire castratrice.
Pour avoir panser mes blessures avec tes mots choisis. De mes genoux en sang à mon coeur en miettes.
Pour m'avoir pris par la main quand je me cognais contre les murs et m'avoir montré la sortie.
Pour ça Tonton, pour tout ça.

Merci Tonton !
Ze_Big_Nowhere
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le 24 avr. 2014

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Ze Big Nowhere

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