On My One
5.5
On My One

Album de Jake Bugg (2016)

Ce jeune homme un peu boudeur, de 22 ans seulement, étonne par sa capacité à prendre des risques (relative au vu du succès dont ce personnage jouit déjà si jeune), même si ce n'est sans doute pas son leitmotiv ici. Mais incorporer des éléments hip-hop à sa musique, lorsque celle-ci est (assez) fortement ancrée dans le folk traditionnel, c'est tout de même osé. Jack White l'a fait aussi, dans son dernier disque, mais lui a 20 ans de plus et la carrière que l'on sait. Après une entrée en matière très douce, posée ("On my one"), le petit Jake surprend dès la deuxième chanson : « Gimme The Love », beaucoup plus dans un registre de pop-rock très moderne, ultra produite et bien dans « l'air du temps » que le folk et le rock racés qu'il avait la bonne habitude de nous éclater à la gueule. Mais la musique reste bonne. Et quand la musique est bonne... Sur ce « Gimme The Love » avec beats techno très "actuels", nous avons tout de même affaire à du pur Bugg : on sent sa patte, sa voix est intacte, le riff funky-pop est chiadé, génial, le son léché, énorme. Le solo qui suit semble presque issu de l'école de Funkadelic, c'est juste dommage qu'il ne dure pas.


La suite n'est pas la plus facile : « Love, hope and misery » passerait presque pour un futur tube radio FM, en tout cas c'est l'impression que peut laisser le refrain, entêtant et vite mémorable, malgré lui. Ce qui n'enlève en rien la qualité de la composition, subtile, solide. La guitare est impeccablement produite, le son est beau et propre. A partir de là, nous en sommes à trois titres, tous complètement différent. L'homme déconcerte. Imprévisibilité assumée, sans doute faite de relents et de lubies adolescents. Le morceau n'est donc pas celui qui me convainc le plus, j'ai tendance à me rapprocher du "Bugg folk", qui là me manque déjà, je parle de celui du premier album évidemment, et de la plupart des morceaux du deuxième. Et ouf... j'ai l'impression d'être entendu, c'est de la télépathie avec je-ne-sais-qui : « The Love We're Hoping For » renoue avec ce folk boisé, au grain rauque, grave, authentique, qui fait sonner la corde de Mi majeur comme un câble métallique. Et même s'il y a de surprenantes plages mélancoliques, strates électro-planantes en arrière-plan qui s'invitent au bout d'un moment, la guitare sèche est finalement ce que l'on retient ici, car bien mise en avant, avec ce mariage parfait entre cette voix enfantine, naïve, nasillarde comme Dylan, d'une jeunesse arrogante et assumée et une parfaite guitare folk, très propre.


« Put Out The Fire » est toujours dans cette veine folk du meilleur cru. Le Dylan de « Freewhelin' » n'est pas loin. Finalement, après avoir été soulagé, rassuré par des titres qu'on attend de lui, on ne peut que l'autoriser à passer d'un autre côté, plus obscur et moins séduisant, du moins au premier abord : « Never wanna dance ». Mais l'art de cet anglais venu de Nottingham est fait d'un éventail de surprises, car au cœur de ce chaos typique de la pop - dance dégoulinante des années 1980, la plus sirupeuse qui soit, voire horripilante, au milieu de ce chiendent, de ces charbons ardents, surgit la beauté : quelques notes d'une trompette délicieuse, bienvenue, qu'on attendait pas/plus. « Bitter Salt » est le moment pour le musicien, le gratteux j'entends, de démontrer ce qu'il vaut en concert, capable comme un Neil Young d'être ce genre de guitariste laconique, d'aller chercher les notes les plus intenses, en alternant ses inspirations sur 3 ou 4 notes pas plus. « Ain't no rhyme » est un délice, carrefour d'influences musicales urbaines, hip - hop, beats éclectros, guitare nocturne et funky. Le groove est là. La volonté de jouer aussi. On ne peut lui enlever ça.


Finalement, le nouveau Bugg passe bien : il y a le Jake que l'on attend de pied ferme (*le country « Livin' up country » (forcément), "All that", baigné d'arpèges lyriques*), et puis il y a ces titres plus surprenants, qui amènent l'auditeur à faire la moue par manque d'habitude, mais qui a force d'écoutes peut nous amener à augmenter la note. D'où l'idée de ne pas commencer trop haut... un 6,5/10 me paraît donc être suffisant et assez représentatif de ce que j'ai entendu là, et avec un petit coup de coeur en plus, oui monsieur. Et en plus, l'album se termine comme il a commencé, avec un titre digne d'un uppercut du droit en plein dans le menton ("Hold on you"), au point de se mordre la langue. Quand la musique est bonne... Le meilleur du folk est bel et bien là, c'est juste que le gars ne veut pas faire que ça, et forcément se conformer aux attentes : après tout, qu'est-ce que ça peut foutre qu'il déçoive quelques personnes, du moment qu'il fasse ce qui lui passe par la tête, au gré de ses envies?
C'est sa vie. Et donc sa musique.


6,5/10.

ErrolGardner
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Découvrir autant de disques en 2016, et passer pour un balèze. et Les meilleurs albums de 2016

Créée

le 18 juin 2016

Critique lue 833 fois

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Errol 'Gardner

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