Après l'excellent Historie, qui retraçait les aventures orientales d'Aristote et d'un jeune homme du nom d'Eumenes, place à KAGANO Mihachi qui nous offre une fresque du côté occidental cette fois, sur fond de deuxième guerre punique l'antagonisme légendaire entre Hannibal Barca le Carthaginois et Publius Cornelius Scipio, dit Scipion l'Africain. En ce temps, la République romaine impose sa puissance en Méditerranée. Scipion, qui va faire office de narrateur dans le préambule, ne manquera pas de préciser que "les humiliations infligées aux vaincus avaient données naissance à un monstre assoiffé de vengeance". Le ton est donné. Le récit part en effet de cette thèse simple. Hannibal va devenir "le pire cauchemar de Rome" car, ce que ses yeux d'enfant ont vu, l'humiliation de son père, il ne l'oubliera jamais. Et se vengera de Rome, lui fera connaître la peur et mettra tout en oeuvre pour espérer la faire plier. "La folie de ceux qui ont tout perdu et qui ont tout à gagner", selon ses propres termes. Voilà de quoi fabriquer un des plus incroyables génies militaires de tous les temps ? Sans doute, mais jamais folie ne fut plus rationnelle, car pour atteindre son objectif, Hannibal sera totalement dénué d'émotion. Il n'est pas de ceux qui s'emportent. Il est même dépeint comme de ceux qui acceptent de faire retraite si la situation l'exige.


Une fois le back ground d'Hannibal traité, la vengeance se met en marche sans tarder. Voilà notre carthaginois homme fait et menant campagne en Hispanie. Nous sommes en 219 av JC. Rome s'étonne, 20 ans ont passés, mais ne s'inquiète guère, assez confiante et prospère pour s'asseoir sur ses certitudes. Un jeune patricien qui lui, se méfie des certitudes, doute à bon escient... Et c'est ainsi que le jeune Scipion fait sa véritable entrée dans le récit, en temps que protagoniste. Les échanges qu'il a avec son ami plébéien nous donnent de savoureuses perspectives sur son propre talent stratégique tout en nous renseignant un peu plus sur le "phénomène" Hannibal.

Le Carthaginois n'est en effet pas encore près de Rome, que sa réputation le précède largement. Et le moins que l'on puisse dire, est que la suite sera tout à fait à la hauteur.


La narration est menée sur les chapeaux de roues, et c'est magnifique de stratégie militaire et de tactiques de meneur d'hommes. Au fil des pages, nous suivons aussi bien la "folle" progression d'Hannibal que les changements des romains devant ce danger "impensable". Sous les yeux du jeune Scipion, qui ira de ses remarques avisées.
La rencontre se fera sur la rive droite du Tessin, près de l'actuelle Milan.
Alea jacta est ! Le destin est en marche. Et là je vais commencer à spoiler vraiment , vous voilà prévenu.
[spoiler]Il faudra plusieurs volumes pour retracer la campagne d'Hannibal en terre romaine. On pourra savourer notamment la bataille de Trébie dans le volume II.
Ad Astra volume III nous transportera dans une phase de l'art de la guerre qui nécessite beaucoup de maîtrise. Qui ne montrera point de bataille épique, mais un duel de patience et de ruse.
Rome a hissé à la dictature le patricien Fabius, dit le verruqueux. Quand ce dernier annonce au Sénat qu'elle sera sa stratégie, d'aucun pensent qu'il est fou, d'autres qu'il est génial.
La guerre d'usure. Vaincre sans combattre. Voilà la façon présumée de défaire Hannibal.
Même accompagnée d'un stratagème d'infiltration du camp ennemi, cette tactique pourrait mener Rome à sa perte. Mais ainsi Fabius entend bien mener Hannibal où il veut et le couper de toute vivres ainsi que du coeur de ses hommes.
Sauf qu'à ce jeu là, Hannibal n'est-il pas clairement supérieur ? Et à rusé, rusé et demi, avec option effet rétroactif. Alors qu'à Rome le pouvoir change de main sur fond de lutte entre plébéiens et patriciens, Hannibal se retranche et laisse passer une occasion de gagner un bataille à la Pyrrhus.
Mais tout cela n'était qu'un avant goût vers la bataille tant attendue: celle de Cannes. Encore étudiée dans bon nombre d'académies comme un modèle du genre, elle est celle qui va porter encore plus haut le génie tactique de Barca. Un vrai régal qui débute avec le volume V poursuivra dans le volume VI à paraître. [/spoiler]


Vous l'aurez compris, après un premier volume plutôt introductif quoique déjà riche en faits d'armes, vous en prenez pour minimum cinq volumes supplémentaires de campagnes militaires, entrecoupés néanmoins de passages politiques (au Sénat) ou de rares moments de vie (au camp, du côté d'Hannibal, à Rome, du côté de Scipion).
Mais c'est ça qui est bon, justement.
Ceux qui ont rêvé/joué sur les campagnes de Scipion et les guerre puniques me comprendront.
Ceux qui avaient un prof qui n'a pas manqué de les faire halluciner sur Hannibal, pareil.
Les autres aussi. Ce manga mérite d'être lu.
Le trait est précis, les décors soignés, les scènes de bataille ne manquent pas de dynamisme (elles savent d'ailleurs restituer la fureur des combats quand il le faut), les équipements des soldats sont étudiés avec soin. Kagano a le sens du détail et on sent le travail de documentation sérieux qu'il a entrepris pour contextualiser correctement sa version.

Le focus étant toutefois placé sur la société romaine, ses luttes au Sénat, l'opposition entre plébéiens et patriciens, etc..
On peut se réjouir de la justesse des dialogues.
Hannibal et Scipion se jaugent d'abord de loin, l'histoire prend son temps pour mieux nous faire savourer notre rendez-vous avec l'Histoire , vers le destin de ces deux génies militaires, aussi rusés l'un que l'autre. Le charisme et la clairvoyance quasi surnaturels de l'un, la capacité unique à rentrer des les chemins retors de son esprit chez l'autre. Ce duel à mort est parfaitement géré par la narration de Kagano.
C'est comme si Carthage avait sa revanche posthume, mais que Rome n'avait pas dit son dernier mot, loin s'en faut. Pour savourer Ad Astra, il faut bien sûr prendre le recul nécessaire et accepter l'adaptation par un mangaka qui d'ailleurs est resté très humble avec sa démarche et nous prévient en postface que certes, les férus d'histoire antique pourront trouver à redire. Mais on va bienveillamment lui pardonner quelques raccourcis, car il est au sommet de son art. Nous tenons décidément un très bon seinen historique de Mihachi Kagano. Et du point de vue de l'événementiel, des batailles et des faits politiques, on ne peut lui faire aucun reproche particulier.
On referait presque l'histoire, on a envie d'être surpris sachant pourtant que... mais ce n'est pas grave. J'ai juste envie de le remercier d'avoir dessiné cela. Un rêve de gosse.

_Andrea_
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le 15 mai 2015

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