1911, Armand Fallières est président de la république. Un président quelque peu méconnu, puisqu’il quitta la scène politique avant la Première Guerre Mondiale, refusant de briguer un nouveau mandat sous le prétexte que « Le poste est intéressant, mais il n’y a aucune possibilité d’avancement ». L’action se situe presque exclusivement à Paris, ville que Tardi se plait à dessiner, tout en instaurant une ambiance inimitable, faite d’ironie et de désenchantement, où des personnages aux caractères forts côtoient des imbéciles. L’aspect reconstitution (de la ville et de l’époque) est une vraie réussite qui met en évidence le talent du dessinateur, très à l’aise avec son scénario à l’intrigue tortueuse. Le décor à l’ancienne est parfaitement adapté. Le succès de cet album paru en 1976 doit au goût de Tardi pour le fantastique, un fantastique teinté de grotesque qui donne un ton très personnel. L’état d’esprit général n’est pas sans rappeler les romans feuilletons qui firent les choux gras de la presse au XIXème siècle.


Pour la police, chou blanc dans une étrange affaire. Venu du fond des âges (le Jurassique), un monstre sème la terreur dans Paris. Un ptérodactyle (et non pétrodactyle…), étrange oiseau rougeâtre qui ressemble à une grosse chauve-souris avec un long bec très dangereux, fait des apparitions de plus en plus meurtrières. L’inspecteur Caponi est chargé d’enquêter, suite à une demande expresse venue de l’Élysée ! A cette occasion, Tardi s’amuse à faire sentir au lecteur ce qu’il pense de la bureaucratie et de ses rouages. La police en prend également pour son grade, entre autres parce que Caponi n’est pas une lumière.


Quant à Adèle Blanc-Sec (ce nom...), l’héroïne de cette série, on ne découvre son identité qu’à la planche 28 (sur un total de 46). Son allure et ses traits sont déjà bien identifiables, avec ses tenues élégantes et son caractère indépendant. Ses moyens financiers lui permettent de vivre dans un hôtel particulier de belle facture à Meudon et d’entretenir deux personnes, non des domestiques mais des hommes de main. En effet, Adèle semble avoir des relations avec la pègre. C’est peut-être ce qui lui vaut d’être poussée dans le bassin des crocodiles au Jardin des plantes, lieu central de cette aventure.


Le prologue en donne le ton, avec des faits mystérieux et des scientifiques aux comportements aussi improbables qu’étranges. L’amour explique certaines choses, mais pas tout. Le charme rétro est bien mis en évidence par les couleurs signées Anne Delobel (créditée également du lettrage), le tout agrémenté d’histoires d’amour, de trahisons et de vengeances, d’étranges coïncidences, de suspense, de critique de la société, de mystères scientifiques, d’une énigme policière et d’une chasse au monstre. Oui, rien que ça ! C’est au point que le lecteur peut être tenté de poursuivre sa lecture sans chercher à comprendre toutes les ramifications de l’intrigue. Peu importe, en bon raconteur (qui doit à son expérience de lecteur passionné), Tardi s’arrange pour qu’on comprenne les vues des uns et des autres (multiples personnages) et sait captiver l’attention. Au besoin, il la relance par un nouveau rebondissement, pour le plus grand plaisir du lecteur. En bon adepte des romans feuilletons, il va jusqu’à faire le point sur tous les mystères qui subsistent à la fin, pour poser les questions que l’album suivant abordera (avec un nouveau mystère dans le même style).


Le dessin est précis mais ne va pas jusqu’à la maniaquerie. Ce n’est pas de la ligne claire non plus. C’est la manière de Tardi, très personnelle, avec un goût évident pour les décors parisiens (rues, façades, toits, intérieurs, boutiques, ponts, statues, etc.) La balade touristique est une belle réussite. Les caractères sont également bien croqués, Tardi montrant que, s’il ne se prend pas trop au sérieux (voir l’aspect rocambolesque de son intrigue), il sait où il va. Le scénario est donc un point fort de l’album, ménageant toujours ses effets bien que partant dans beaucoup de directions. De plus, la référence à la préhistoire n’est pas qu’un artifice amusant ou vendeur. La présence de squelettes immenses au Jardin des plantes l’atteste, l’intérêt scientifique et populaire pour le Jurassique, le Crétacé et autres époques antédiluviennes faisait déjà recette au début du XXème siècle. Tardi s’en moque un peu, mais il utilise le thème à merveille, en faisant l’un des meilleurs ressorts de son intrigue. Quant au thème du savant fou, il lui plait tellement qu’il y reviendra régulièrement et en fera le titre du troisième album de la série.


L’aspect général de l’album est très classique (30,5 cm x 23 cm). C’est désormais un incontournable de la BD franco-belge. Très naturellement, Tardi montre une belle science de la narration, alternant les planches bavardes (série de gros plans sur des articles de journaux par exemple), avec d’autres où le dessin domine. Il varie le format des vignettes selon ses besoins (qu’on sent très réfléchis) et il accentue certains dialogues en grossissant le trait (et en supprimant le phylactère qui parfois mange un peu la vignette), mettant en évidence l’ego des différents personnages.


L’album est donc une réussite qui justifie pleinement que Tardi pense d’ores et déjà à une suite. Cet album est la principale source d’inspiration du film Les aventures d’Adèle Blanc-Sec réalisé par Luc Besson. Si le film n’a évidemment pas le charme de la BD, le personnage d’Adèle Blanc-Sec interprété par Louise Bourgoin est malgré tout bien rendu, c’est déjà ça.

Electron
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le 8 avr. 2015

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