Un Long Halloween m'avait fait une très forte impression, la première fois que je l'avais lu. Loin d'être une succession de combats entre Batman et ses ennemis, dont une belle brochette est présente ici, le scénario de Jeph Loeb laisse la part belle à une enquête policière, digne de tester les capacités du « meilleur détective du monde ». Situé chronologiquement au tout début de la carrière de ce dernier, Un Long Halloween se veut une suite du Year One de Frank Miller, dont il reprend la Famille Falcone, la bande de mafieux responsable de la déchéance criminelle de Gotham City depuis des années.


Loeb met le focus sur la transition qui, lors de l'arrivée du Chevalier Noir, s'est rapidement effectuée entre une criminalité « normale » et le règne des détraqués et monstres de foire tels que le Joker, Poison Ivy, le Sphinx et autre Epouvantail. C'est la fameuse théorie de l'aimant à emmerdes: les malades mentaux semblent être attirés à Gotham City à cause de la présence même de Batman, malade mental qui s'ignore. De plus, Loeb met subtilement en exergue l'impuissance du Justicier à accomplir réellement son devoir de protection envers la cité: il ne tue pas, il enferme les méchants, et ceux-ci finissent toujours par revenir, causant de plus en plus de morts. 

Combien de cadavres d'innocents Bruce Wayne a-t-il sur la conscience à cause de son impuissance à tuer des psychopathes ? Et si ce que la plupart des comics s’évertuent à faire passer pour une force (la sainteté des super-héros) était plutôt une faiblesse ? Cette réflexion en filigrane poursuit celle, plus explicite, de Frank Miller dans son « Dark Knight Returns ». C'est aussi celle de Harvey Dent, procureur général de Gotham City et hanté par l'impuissance de la Justice.


Il s'agit indéniablement du personnage le plus travaillé de ce comic. Nous suivons la lente et inexorable transformation d'un homme désespéré en quelque chose de néfaste appelé « Double Face ». En dotant ce dernier d'une véritable psychologie, Loeb réussit l'exploit de le rendre enfin crédible et humain, ce qui décuple bien entendu l'intérêt qu'on peut lui porter. 

Malheureusement, la nature de sa relation avec Batman et Gordon (l'alliance entre les trois ayant fortement influencé le Dark Knight de Nolan au cinéma) aurait mérité d'être beaucoup plus approfondie. Le Chevalier Noir ne cesse de dire que Harvey Dent est son ami, mais ils ne se parlent quasiment jamais ! Et d'ailleurs, les dialogues sont loin d'être pléthore dans ce « Long Halloween » qui préfère se concentrer sur une mise en scène forte, jalonnée de nombreuses cases gigantesques et muettes.


Le point positif de ce parti-pris est d'ordre esthétique: le dessin de Tim Sale, un peu hésitant et pas toujours du meilleur effet, est transcendé par le jeu d'ombres expressionniste et par la façon qu'a le dessinateur de mettre en harmonie les décors grandioses avec le langage corporel pour le moins iconique des personnages: certaines pages pleines (au moins deux par chapitre) vous resteront gravées dans la tête. Le point négatif, c'est que le rythme de lecture en devient très rapide et que la rigueur scénaristique en souffre un peu. En effet, plusieurs éléments de l'enquête sont loin d'être irréprochables, voire semblent carrément bâclés, mais je vous en laisse juger par vous-mêmes. Surtout que cela tient peut-être à la volonté de mettre en scène un Batman débutant qui finit par s'empêtrer dans ses indices (enfin, si on peut appeler ça des indices) au risque de paraitre totalement largué ! Ça n'explique cependant pas le fait que l'identité finale du tueur ne tienne pas vraiment la route...


Le récit de cette année jalonnée de meurtres les jours de fête reste malgré tout original, avec une ambiance gothico-mafieuse du plus bel effet. La transformation de Harvey Dent, tragique à souhait, justifie à elle seule une partie des louanges habituellement adressées au scénario et fait de ce « Long Halloween » un indispensable du batverse aussi bien pour le néophyte que pour le connaisseur.

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le 31 mars 2013

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Amrit

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