Gamin, alors que je dévorais les Blake et Mortimer de la bibliothèque familiale, il était évident pour moi que l'auteur, ce Edgar P. Jacobs, était britannique. Un anglais sujet de sa royale majesté, fantasmant une Grande Bretagne impérialiste renaissant de ses cendres, retrouvant de sa superbe dans cette troisième guerre mondiale où les Etats Unis se font ratiboiser en deux cases par l'invasion des "jaunes" (Et si un "Bouh le méchant cliché raciste !" vous vient à l'esprit, allez voir ailleurs, ce n'est pas le sujet). Apprendre tardivement qu'il était belge me fit presque un choc.


Le Secret de l'Espadon est une histoire à part dans la série des Blake et Mortimer, et ce pour plusieurs raisons. Déjà, l'évidence, c'est l'histoire fondatrice de nos héros, liés par une amitié indéfectible forgée dans le feu de la guerre. Ensuite, c'est un album où Blake a une consistance inédite par rapport à ses aventures à venir. Il n'est en effet pas encore un espion du MI5, mais un officier de la RAF. Un militaire, un guerrier, un homme d'action et de décision. Ce caractère bien trempé s'estompera par la suite pour laisser place à un Mortimer bien plus leader dans leur tandem.
Enfin et surtout Le Secret de l'Espadon est une véritable uchronie. Les aventures suivantes de nos anglais préférés s'inscriront toujours plus dans "notre dimension" (encore plus dans les albums "post Jacobs"), notamment dans le contexte géopolitique. Dans cette histoire, au contraire, la destinée des civilisations du XXème siècle est chamboulée. Le Royaume-Uni et son empire tout puissant est au firmament, la splendide Albion seule est en mesure de résister, de vaincre l'ennemi ultime (les nazis font pâle figure face à eux). Et encore ! Il faut un britannique pour commander les forces ennemies et passer à deux doigts de réussir ! Ah ! Olrik ! Un méchant d'envergure, sorte d'Errol Flynn maléfique, classe dans sa noirceur, plein de morgue et de dédain pour ses employeurs, animé de colères terribles !


Le Secret de l'Espadon enfin, c'est la guerre. La guerre dans tous ses états, terrible et romantique à la fois. Course à l'innovation technologique, espionnage, sabotage, résistance, morts et sacrifices. Le dessin de Jacobs est en ce sens superbe, plein de tension et de mouvement, notamment lors des confrontations aériennes, d'une maestria graphique certaine.


Quand on est adulte; on relit forcément Le Secret de l'Espadon avec une distance savoureuse. La propagande britannique devient quasi humoristique, l'histoire flirte quasiment avec la science fiction (genre chéri par l'auteur, les albums suivants le confirmeront), ce n'est pas la Grande Bretagne qu'on lit là, mais sa caricature, doucement moqueuse, mais tellement réjouissante.


Les meilleurs albums de Blake & Mortimer sont encore à venir (Le Mystère des grandes Pyramides, La marque Jaune, etc). Mais pour une première histoire, ça reste de très haute volée.


Ah oui, un dernier détail. Le Secret de l'Espadon, ce sont deux tomes. Pas trois. Ce second découpage est ubuesque et casse le rythme de lecture. Évitez cette édition commercialo-stupide si vous le pouvez.

Hypérion
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le 25 janv. 2012

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Hypérion

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