Dans la culture courante, le terme "comics" fait référence aux histoires de super-héros en costume. Pourtant il ne désigne qu'un format de bande-dessiné, avec un numéro sortant à intervalle régulier (généralement tous les mois). De fait dans la réalité, il existe énormément de comics ne mettant pas en scène des super-héros (the walking dead, V pour Vendetta pour les plus connus).


Personnellement, j'ai toujours affirmé préférer Marvel pour ses personnages plus développés, plus complexes que les super-héros de DC comics, plus lisses et aux pouvoirs quasi-mythiques, Batman étant la grosse exception et portant à lui seul une bonne partie de la popularité de cet éditeur. C'était avant que je ne découvre qu'il existait un genre de comics où la Maison des Idées ne peut rivaliser : les histoires souvent sombres, plus matures, plus profondes, et majoritairement fantastiques, regroupés chez la Distinguée Concurrence sous le label Vertigo. C'est sous ce label qu'ont été publiés V pour Vendetta, mais aussi Watchmen (tous deux adaptés en film), œuvres cyniques et désabusés, avec une profondeur de réflexion qui surpasse le genre et le hisse au rang de chef-d’œuvre. Ce label propose souvent des histoires originales et inventives, et présente aussi l'avantage de proposer des histoires plus courtes avec une fin, au lieu des multiples séries intriquées qui continuent éternellement des super-héros classiques.


Parmi ces récits, il y a "Fables", qui raconte l'histoire d'une communauté de personnages de contes populaires ayant trouvé refuge dans notre monde. Les auteurs bénéficient ainsi de dizaines d'histoires et encore plus de personnages, qu'ils peuvent utiliser, modifier et faire interagir à leur guise, un terrain qui n'a d'autres limites que l'imagination. S’il ne peut être considéré comme sombre à l’instar d’un « Sandman » ou d’un « Preacher », il est définitivement original et fait la part belle à l’imaginaire.


Pour fuir un Adversaire impitoyable à la tête d’une gigantesque armée impossible à arrêter, tous les personnages de Fables de royaumes différents ont fui et trouvé refuge dans notre monde. Un monde particulier, où la technologie avancée a remplacé la magie, et où leurs histoires ont filtré pour devenir des contes. Qu’ils soient issus des fables de la Fontaine, des frères Grimm ou de Perault, populaires ou mineurs, ils ont élu refuge au milieu des gens communs, portant une attention particulière à rester caché. Ce oblige les Fables non humaines à rester confinés dans un même endroit à l’abri des regards, la Ferme, ce qui n’est pas sans attiser des tensions et un sentiment d’exclusion. Sans compter ceux dont la malédiction est toujours vivace : la belle au bois dormant doit faire attention à ne pas se piquer sous peine d’endormir tout le monde autour d’elle (allez expliquer ça !), et Raiponce ne peut rester trop longtemps au même endroit sous peine de changer de coiffure à vue d’œil !
Les siècles ont passés et chacun a bien changé. L’occasion de retrouver des personnages connus sous un tout autre aspect : Blanche-Neige en femme froide et autoritaire, le Prince Charmant en séducteur volage, la Bête se transformant involontairement à chaque (fréquente) dispute avec Belle, Cendrillon devenue un agent secret redoutable, ou encore Pinocchio se désespérant de rester un petit garçon sans pouvoir atteindre la virilité ! En une période aussi longue, les aspirations pour le bien et le mal se modifient également. Les vilains ont en effet signé un amendement les expiant de leurs crimes passés, c’est ainsi que le grand méchant loup ait devenu le shérif de la ville, et que la sorcière au pain d’épice ait mis ces services au sein de la communauté, non sans toujours veiller à recevoir une contrepartie. Même tendance dans l’autre sens, les trois petits cochons et Boucles d’Or mènent une révolution sanglante à la Ferme, Hansel est devenu un tueur, Jack aux haricots magiques un escroc minable, sans compter la véritable identité surprenante de l’Adversaire…


Revisiter l’histoire des contes à notre époque, les mélanger pour les faire issue d’un même monde, ce concept possède un fort potentiel narratif, comme le prouve les deux séries actuelles « Once upon a time » et « Penny Dreadful ». Il permet entre autres de modifier de manière originale certaines bases des contes telles qu’on les connait, et de tisser des liens improbables entre elles. C’est ainsi que le grand méchant loup est le fils du puissant vent du nord, sa progéniture possédant dès lors le pouvoir du vent, et mieux vaut éviter de parler des nains…
« Fables » reprend donc la même idée que « once upon a time » (enfin ce serait plutôt l’inverse), mais en plus inventif et plus osé encore, là où la série conservait un certain côté édulcoré, avec des gentils qui devaient toujours gagner contre les méchants.
C’est sur si les auteurs de ces contes voyaient ce qu’on avait fait de leurs personnages, ils en seraient choqués ! (D’ailleurs…)
La série développe peu à peu son univers. Plusieurs personnages, d’abord secondaires, finissent par être mis sur le devant de la scène, des chapitres leur étant parfois exclusivement consacrés : Boy Blue, le prince-grenouille, la sorcière au pain d’épice, Mowgli, Cendrillon, Rose-Rouge, Gepetto…


Les dessinateurs imposent leur pâte particulière en s’amusant avec les formes classiques de la bande-dessiné, avec des colonnes autour des vignettes en rapport avec le lieu où l’atmosphère, que ce soit des fleurs ou des crânes, ou des personnages qui débordent dans les cases voisines. Toutefois, comme c’est souvent le cas, les dessinateurs changent selon les histoires, avec parfois des différences de style un peu trop marquées, certains étant mieux que d’autres. Par exemple, des visages trop modifiées, un peu cartoonesque, contrastent un peu trop je trouve avec le ton sombre de l'histoire...
Les couleurs sont certes plutôt éclatantes, mais il ne faut pas s’y méprendre, le ton n’est en aucun cas léger ni enfantin. Le sang coule et plusieurs Fables perdent la vie…


A l’heure actuelle la série continue encore. Elle a su continuer après avoir la fin du fil rouge qu’était la lutte contre l’Adversaire, pour faire appel à d’autres menaces ou d’autres complications, directement issues des conséquences de la guerre. Avec un tel univers, elle peut sans doute encore continuer plusieurs numéros, tant que les scénaristes parviendront à exploiter judicieusement le potentiel du concept. Il est courant de reprocher aux séries à rallonge de continuer trop longtemps et de ne pas savoir s’arrêter (« walking dead »), mais pour certaines histoires, il y a tout simplement suffisamment matière à raconter (note toutefois, je n’en suis qu’au tome 19 sur 24…).


Espérons alors que la série vivra encore inventivement avec beaucoup d'histoires.

Enlak
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le 8 avr. 2016

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