Shadowslayer
6.7
Shadowslayer

BD de Pat Mills (1995)

C.P. Horn passe l'essentiel de ses journées et de ses nuits à déambuler dans les rues de New York.
De haute stature, portant un long manteau noir lui donnant des airs de détective old-school, il a le visage émacié et le regard d'un assassin. Car C.P. Horn est bel et bien un tueur choisissant ses victimes soigneusement et préparant méticuleusement leur assassinat. Le fait-il par plaisir ? Non. Car au-delà de ses actes condamnables, Horn a des intentions bien nobles. Du moins, c'est ce que lui, en tant que narrateur, veut nous faire croire.
Se proclamant chasseur d'ombres, il traque sans relâche une entité maléfique dénommée Melanikus, laquelle, immatérielle et omnisciente, s'empare à l'envie de n'importe quel humain pouvant servir ses intérêts, à savoir répandre le mal et la désolation sur la Terre. Ainsi, tout acte criminel, tout complot ou catastrophe écologique aurait pour origine l'influence de Melanikus sur ses hôtes involontaires. Horn, dôté d'un don surnaturel à repérer les "jouets" du démon et à pouvoir prophétiser leurs actes futurs, met un point d'honneur à tuer impitoyablement tous ceux portant la marque de Melanikus, et ce même s'ils sont encore tout à fait innocents.

Ainsi, l'existence de Horn se rapproche de celle d'un tueur en série aux nobles desseins.
Un jour pourtant, une jeune fille est retrouvée en train de déambuler nue dans la rue au milieu de la foule et portant autour du cou un écriteau la présentant comme Cassandre. La police ne pouvant tirer de la jeune fille un traître mot, une seule réaction, ils se tournent vers Horn dont la réputation de professeur en sciences occultes n'est plus à faire. Celui-ci prend l'adolescente sous son aile et découvre qu'elle semble découvrir le monde comme un nouveau-né. L'apparition de Cassandre aurait-elle un lien avec Melanikus ?

Scénarisé par Pat Mills, le célèbre créateur et rédacteur en chef du magasine 2000AD, et collaborateur de nombreux artistes des deux côtés de la Manche dont Olivier Ledroit (Requiem, chevalier vampire), l'histoire nous plonge dans une atmosphère délétère, entre film noir et enquête paranormale.
Mills s'est associé avec le défunt dessinateur Eric Larnoy, qui nous livre des planches de toute beauté, entre esthétique gothique et expressionnisme cotonneux. Un style remarquable, proche de celui du génial Ledroit, notamment dans la composition des visages et des silhouettes, qui tend à faire regretter le décès prématuré de l'artiste.

Shadowslayer c'est surtout une somme d'influences, empruntant autant à "M le maudit" qu'à "Entretien avec un vampire" et à "The asphyx".
La New York de Mills et Larnoy, telle une Gotham aux heures les plus sombres, est un enchevêtrement de ruelles sordides et d'impasses en coupes gorges où se découpe dans la clarté brumeuse des lampadaires, la silhouette anguleuse et imposante de Horn, sorte de tueur implacable aux allures de vampire, déterminer à combattre le mal par le mal. Prophétisant les mauvaise actions futures de personnes innocentes, il s'octroie à lui-seul les rôles de juge et de bourreau et mène sa croisade comme une vengeance personnelle à l'encontre de l'entité qu'il juge responsable de tous les maux et qu'il identifie à l'envie dans l'ombre de n'importe quel passant croisant malencontreusement son chemin.
A ce stade-là, il est judicieux de se demander si Horn n'est pas juste qu'un psychopathe halluciné, cristallisant ses peurs et justifiant ses pulsions meurtrières par l'existence (fantasmée) d'une entité intangible.

Le catalyseur de l'histoire est le personnage de Cassandre, jeune fille dans la fleur de l'âge, belle, pure, innocente et préservée mystérieusement jusque-là de la corruption du monde. Elle renvoie ainsi à la créature de Frankenstein lorsque celle-ci se retrouve abandonnée par son créateur, sans repères et livrée à elle-même. Vierge, mutique et apathique, Cassandre s'apparente à une coquille vide. Horn prend sur lui de faire son instruction durant de longs mois, esquissés en quelques vignettes, pour qu'elle soit en mesure de se remémorer et expliquer clairement ses origines. Une relation ambigu va s'installer entre le professeur et sa jeune élève, Horn se refusant à abuser de la candeur de la jeune femme malgré leur rapprochement. Il n'est pourtant pas dupe et subodore derrière Cassandre un ultime piège tendu par son ennemi de toujours. Cassandre n'est-elle pas censée le condamner à l'enfer, cet enfer dont Horn s'est déjà évadé une fois enfant et qu'il a depuis longtemps nommé Génésis ?

Une bonne bande-dessinée , glauque et horrifique, dans la droite lignée de Hellblazer. Non exempt de défauts et raccourcis narratifs quelquefois fâcheux, ce tome 1 restera à jamais orphelin, le scénario se concluant par une fin ouverte dont on ne verra jamais la moindre esquisse de suite.
Récit inachevé donc, totalement méconnu dans nos contrées, Shadowslayer porte la patte de Mills dans ses obsessions ésotériques (que l'on retrouve notamment dans Requiem) et ses intrigues d'ampleur apocalyptiques. Resserrant le récit sur le point de vue du chasseur d'ombres, il trouve en Larnoy le parfait collaborateur pour mettre en image son scénario somme toute minimaliste, bien que comportant nombre d'idées originales qui auront pu servir d'inspirations à d'autres oeuvres ultérieures telles Requiem, Chevalier vampire ou le film Dark city d'Alex Proyas dans la figuration de ses hommes en noir.
Une oeuvre singulière, reconnaissable à sa fabuleuse couverture, dans laquelle Horn nous interpelle de son regard glaçant et halluciné.
Buddy_Noone
8
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le 28 mai 2014

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Buddy_Noone

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