La critique de la BD du point de vue la série TV...

Attention, je me réfère ici à l'édition US, pas à la traduction française.


Tome 1 (Days Gone Bye)


A force de lire des critiques de la série TV (en tout cas des deux premières saisons) par des fans - énervés comme des zombies alléchés par l'odeur de la chair fraîche - de la BD, il fallait bien que je m'y plonge à mon tour, dans cette œuvre fleuve... Pour m'y livrer à l'exercice inverse, la critique de l'original basée sur la copie ! D'abord, une réticence immédiate quant à l'avertissement de Robert Kirkman à ses lecteurs : a-t-on besoin de souligner ainsi ses nobles intentions moralisantes et intellos quand on livre une histoire de zombies ? Nous, les lecteurs, ne sommes pas si stupides qu'il nous faille être ainsi guidés par la main pour comprendre de quoi il retourne, et ce d'autant que le sujet de "Walking Dead" est simple, "la survie alors que plus rien n'existe de la société que nous connaissons". Le dessin est... américain, moyen sans plus, en tout cas bien inférieur à ce qui se fait couramment au Japon ou en Europe. La narration est des plus classiques (même si l'exemplaire que j'ai lu était mal monté avec des pages mélangées, présentant ainsi involontairement une lecture déstructurée amusante...), et, par rapport à la série TV (nous y voilà...), ce premier tome manque singulièrement de... puissance visuelle, une chose que Darabont avait vraiment réussie dans la première saison (l'entrée dans Atlanta par exemple). De plus, pour une histoire qui se vante de travailler avant tout sur la psychologie des personnages, on a un peu de mal à suivre cette fameuse évolution au sein du trio Rick - Lori - Shane qui conduit au drame final, à la différence de la série, où Lori était beaucoup plus ambiguë et rendait l'histoire crédible. Bref, une impression très mitigée après ce premier tome : peu d'imagination, guère de force, peu de subtilité dans les personnages, juste une BD qui ne se distingue guère du tout venant.


Tome 2 (Miles Behind Us)


Second tome, et déjà un nouveau dessinateur, Charlie Atlard. Quelque part, le graphisme plus brutal de Atlard me paraît plus approprié que celui de son prédécesseur, un peu "enfantin"... sauf que, pour le moment, il est clair que Atlard ne sait pas dessiner les visages (ou tout au moins faire que les personnages se ressemblent à eux mêmes d'une case à l'autre, ce qui est une sorte de minimum dans la BD, non ?), et que cela n'aide évidemment pas la lecture d'une saga où il y en a justement des dizaines, de personnages. Bon, ceci dit, et en attendant de voir si cela s'améliorera par la suite, le second tome de "The Walking Dead", qui sert grosso modo de base à la seconde saison de la série TV, travaille le même sujet que le premier, mais sans doute de manière plus claire : c'est bien l'homme, plutôt que le zombie, qui est un loup pour l'homme. On sait bien que c'est le thème central de la saga, bien plus en fait que le renoncement au confort de la civilisation et le retour aux "fondamentaux" de la vie, et c'est en effet un sujet plus intéressant que les zombies en eux-mêmes, qui contribuent surtout à ajouter une tension constante en toile de fond. Problème néanmoins, la cohérence des décisions des personnages est pour le moins douteuse, et la psychologie de la plupart d'entre eux très sommaire, ce qui affaiblit notamment l'aspect lourdement psychologique de pas mal de scènes. En fait, il me faut même reconnaître que, aussi ennuyeuse qu'ait été la seconde saison de la série TV, de nombreuses améliorations ont été apportées par rapport à cette BD, en particulier dans les motivations de Hershey et le dénouement de l'épisode de la grange... A suivre, donc, mais pour le moment, sans un enthousiasme démesuré de ma part !


Tome 3 (Safety Behind Bars)


Est-ce parce que la série TV a relativement peu adapté les péripéties de ce volume ? En tout cas, je l'ai trouvé beaucoup plus intéressant que les deux précédents : les zombies - finalement pas passionnants, à part pour les fans hardcore du genre dont je ne suis pas - passent en arrière plan (normal, nos "héros" sont désormais relativement protégés dans leur prison...), et le vrai sujet du livre, quelque chose comme "l'homme est un loup pour l'homme" peut alors commencer à être traité. De plus, même si l’indifférenciation des personnages due à la piètre qualité du dessin continue à gêner la lecture (on se raccroche aux détails vestimentaires et à l'utilisation des prénoms dans les dialogues, typiquement anglo-saxonne), il y a enfin de vraies belles scènes entre les personnages, et une réelle complexité des relations entre eux (un peu plus de sexe et d'amour que dans la série TV, ce qui est bien vu). De plus, il y a - pour la première fois dans ce troisième volume - quelques astuces de narration, comme des ellipses, qui rajoutent de l'intelligence à des situations qui sinon, pourraient être assez convenues : car, pour le moment, les dilemmes moraux et éthiques qui se posent aux personnages restent quand même furieusement conventionnels, et Kirkman n'a pas (encore ?) atteint la force visionnaire / politique du travail d'un Romero. Un bon livre de toute manière, qui se clôt sur un cliffhanger efficace.


Tome 4 ("The Heart's Desire")


Encore un tome dédié aux tensions internes au groupe de survivants réfugiés dans la prison qui les protège désormais des morts-vivants, c'est à dire des épisodes qui n'ont pas été repris dans la série TV... ce qui rend donc forcément la lecture du livre un peu plus intéressante ! Cette fois, la majorité des affrontements entre les personnages sont liés à la montée des tensions sexuelles, voire amoureuses, ce qui, après tout, n'est pas absurde, le retour (fragile) à une certaine sécurité autorisant les pulsions à ressurgir... Le problème est alors clairement l'incapacité de Charlie Adlard à dessiner des scènes intimes ou psychologiques de manière intéressante, ce qui rend la lecture de ce quatrième tome un tantinet fastidieuse. La fin du livre est consacrée au basculement psychologique progressif de Rick, qui, s' il est crédible vu les pressions sur lui, nous laisse quand même une impression assez simpliste : on est bel et bien en face du tout venant de la morale à l'américaine, ce qui n'est pas ce qu'on attend d'un tel comic book... La dernière planche, grandiloquente, peut même prêter à sourire (à ricaner ?) ! Décidément, les auteurs de "The Walking Dead" n'ont pas techniquement (tant du point de vue de la narration que du dessin) les moyens de leurs ambitions... Ce qui explique a contrario que la série TV soit une réussite artistique bien plus évidente que la BD...


Tome 5 ("The Best Defense")


C'est lorsqu'un personnage de ce cinquième tome explique que "arrive un moment où les gens en ont marre de baiser et de bouquiner" que j'ai réalisé en effet l'une des faiblesses de la série TV "The Walking Dead" : personne ne baise (auto-censure classique dans un pays où le sexe choque plus que les tueries) ni ne lit (même quand le monde aura pris fin, pas certain que les Américains ré-apprennent à lire !). Outre ce point - non négligeable (ici le viol répété de Michonne par le Governor est quand même diablement plus effrayant que les menaces jamais concrétisées de la série TV) -, une fois de plus le comic book est moins intelligent et moins efficace à la fois que la Saison 3 qui en reprend les grandes lignes : c'est que le Governor ambigu de la série a quand même bien plus de profondeur et de charme troublant que le psychopathe prévisible du livre ! De plus, au sixième tome, il ne reste plus rien à espérer désormais du graphisme, d'une laideur et d'une inefficacité tragiques. Pas sûr que je tienne longtemps, en prenant aussi peu de plaisir à la lecture de "The Walking Dead" !


Tome 6 ("This Sorrowful Life")


Sans doute faut-il que l'intrigue du comic book soit le plus distante possible de celle de la série TV (que j'ai malheureusement vue avant de lire les livres) pour que l'esprit puisse se libérer de l'épuisant jeu des comparaisons, et que l'on puisse mieux savourer l’œuvre de Kirkman et Adlard... Ce sixième tome de la saga "Walking Dead" m'a semblé du coup l'un des plus intéressants à date, grâce à deux moments-clé (pas vraiment présents dans la série TV, ou du moins bien différents) vraiment forts : d'abord cette "fameuse" scène où Michonne torture le Governor de manière pour le moins extrême, et ensuite l'exécution du "traître" Rodriguez... Deux moments où les héros de la série sont clairement "au delà" des limites généralement admises, et donc deviennent réellement intéressants, et ce d'autant plus que leurs actes questionnent l'humanité du lecteur, qui doit se positionner moralement (ou pas) par rapport à ces excès. On espère donc que la saga continuera dans cette direction passionnante, qui exploite (enfin) pleinement le potentiel du thème fondamental de "Walking Dead", la disparition - ou pas - de ce qui fait notre humanité face à la situation la plus extrême qui soit, l'anéantissement de l'organisation sociale.


Tome 7 ("The Calm Before"):


Un volume de transition, comme le titre (original) l'indique bien d'ailleurs, donc centré sur les rapports entre les membres de la petite communauté menée par Rick et désormais retranchée dans la prison en attendant une hypothétique attaque du Governor. Le problème, c'est que, du fait de notre manque d'attachement aux personnages - indifférenciés à cause de la terrible faiblesse graphique de "Walking Dead", mais également très pauvres sur le plan humain - on ne peut que s'ennuyer ferme tout au long de ce septième tome qui paraît bien interminable, en dépit de quelques scènes de tension ou de violence qui viennent entre couper cette longue, longue attente. A noter aussi que, à ce point du récit, le décalage par rapport à la série TV quant à qui a survécu et qui est mort crée un parasitage constant dans l'esprit du lecteur (je suppose que ceux qui ont lu la BD avant de voir la série ont ressenti l'effet inverse), et qu'on ne peut s' empêcher de penser que les choix scénaristiques de l'adaptation sont plus malins que ceux de Kirkman.


Tome 8 ("Made to Suffer")


N'ayant jamais été avare en critiques envers ce comic book à mon avis grandement surévalué, je ne pensais jamais arriver à en louer les mérites de manière aussi catégorique, mais l'honnêteté me pousse à reconnaître que ce huitième tome ("Made to Suffer" en version originale) est un vrai chef d’œuvre. Que cela soit du fait de l'extrémisme d'un scénario qui sacrifie de nombreux personnages "principaux" dans la saga sans en faire tout un plat, ou bien de l'excellence de la narration qui joue entre plusieurs fils et ménage un suspense infernal, sans parler cette fois d'un découpage d'une redoutable efficacité, tout concourt à asphyxier le lecteur par une succession de scènes fortes, voire traumatisantes. Kirkman et Adlard semblent donc être arrivés exactement là où ils le souhaitaient, et parviennent finalement à justifier bien des circonvolutions pesantes qu'on leur a reprochées dans les précédents tomes : la morale, implacable, de "Walking Dead" (l'homme est un loup pour l'homme, ou quelque chose du genre) nous explose à la figure, et on n'en sort pas indemne. Le seul reproche que je puisse imaginer faire à ce livre exceptionnel, c'est de se conclure par "A Suivre", alors que le mot "Fin" aurait permis à "The Walking Dead" de se clore dans une remarquable apothéose.
(A suivre)

EricDebarnot
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le 12 nov. 2013

Modifiée

le 10 févr. 2014

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Eric BBYoda

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