Ce qui frappe, c'est que seule la première planche se déroule dans le monde "normal". Dès la deuxième, le monde a basculé, sans retour possible, sans espoir, dans un monde où des ex-humains morts en putréfaction traquent - à leur rythme assez lent - les restes de chair vivante qu'ils peuvent trouver.
L'essentiel semble résider dans ce basculement: la mort est la norme, la vie est une exception, voire une accusée, comme le sont fréquemment les groupes minoritaires. Aucun artifice de scénario ne daigne nous suggérer le pourquoi et le comment de ce basculement: ni virus muté qui s'échappe d'un laboratoire interdit, ni extra-terrestres pervers qui contaminent les humains. Rien que la nudité glacée de cet état de siège sans espoir.
On attend de supposées forces armées, l'action d'un supposé gouvernement (mais en reste-t-il un ?). L'intérêt de cette mise en scène est multiple: d'un côté, on est dans le classique vase clos oppressant, où les protagonistes sont menacés à la fois par les dangers extérieurs (les zombies attirés par l'odeur du vivant) et intérieurs (leur diversité, leurs conflits, leurs baisses de moral...); d'un autre côté, on reconstruit métaphoriquement les perversions de l'espérance: selon qu'ils ont foi ou pas (une foi qu'on voudrait bien ne pas connoter religieusement) dans l'existence d'un gouvernement qui cherche à les sauver, les personnages se battent entre eux (Rick et Shane s'affrontent à ce sujet) pour attirer le groupe vers des stratégies de survie différentes. Remplacez le mot "gouvernement" par "Dieu" ou par divers noms de Dieu, et le récit ne paraîtra plus si irréel.
Car ce qui soutient l'intérêt dans cette histoire, somme toute déjà vue dans ses grandes lignes, d'une poignée de personnes perdues sans espoir dans un monde de zombies cannibales, c'est l'attention portée à la peinture des divers personnages, à leur psychologie, leurs espoirs, leurs terreurs, leurs tendresses. Les personnages sont assez représentatifs de la société des Etats-Unis: petits jobs peu payés, presque tous dans le tertiaire.
C'est tout cela qui se décompose: ce que l'on était professionnellement, affectivement, familialement. Shane, qui joue un peu le rôle du méchant, en voulant piquer la femme de son copain, est en réalité un désespéré qui n'est plus soutenu que par l'espoir de s'accaparer Lori. Son désespoir éclate lorsque cette illusion s'effondre.
L'obscénité de cette situation qui déshumanise absolument montre qu'il n'est même pas besoin d'être mordu par un zombie pour perdre tout vernis de civilisation: dès que la société n'encadre plus rien, les pulsions primitives tiennent le haut du pavé. Le passé social est décomposé.
Quant aux zombies, ils sont bel et bien pourris: on ne nous épargne pas les vers qui les rongent lorsqu'ils se cassent en deux avec une facilité étonnante. Mais, même décomposés jusqu'à l'os, ils semblent parfois conserver un soupçon de motricité qui les rend redoutables. Finalement, là-dedans, c'est le profil le plus conventionnel du zombie qui nous est proposé, sans justification spéciale. A croire que l'angoisse vient des vivants, ou de ce qu'il en reste.