Avec Insomnia de Christopher Nolan, 30 Jours de Nuit est le seul film à avoir puiser sa singularité dans les spécificités offerte par l'Alaska, 49ème Etat des Etats Unis qui connaît, chaque année, une période d'un mois sans lune et au contraire, d'une autre sans soleil. Inutile de préciser de quelle particularité chaque film a su tirer parti, cela sonne comme une évidence. En revanche ça l'est de souligner à quel point le deuxième essai de David Slade manque de reconnaissance compte tenu de sa personnalité et générosité.
Adapté du comic book éponyme (connu ? Pas connu ? Toi aussi participe à l'écriture de cette critique en donnant ton avis dans les commentaires), 30 Jours de Nuit, malgré sa méconnaissance auprès du public, demeure un pilier d'une ambiance cinématographique dont Sin City fut le précurseur en 2005 et dont Zack Snyder s'est fait le maître avec 300 mais surtout Watchmen. A un différent niveau, chacune de ses œuvres a tiré de son matériau d'origine (la bande dessinée pour ceux qui suivent pas) une patte graphique et une palette de couleurs tantôt épurées à l'extrême (Sin City) tantôt extravagantes et fantasmagoriques (Watchmen). Par son cadre spatio-temporel, le film lorgne du côté de la première catégorie, avec cette abondance de neige d'une pureté irréaliste et ses teintes d'une noirceur abyssale ou bleue foncée pour le dégradé que souligne la somptueuse photographie de Jo Willems, juste milieu entre l'aspect comics et l'autre, plus sale et terre-à-terre.
Seule l'introduction du film, pré-ténèbres, épouse des teintes qui nous sont familières mais non moins magnifiques pour la rétine. Par le jeu de contraste entre ce crépuscule et cette obscurité à venir, Slade marque la fin d'une ère et le début d'un long cauchemar éveillé pour nos personnages et pour le spectateur, qui va progressivement assister à un massacre dont la neige, s'imprégnant des hectolitres de sang versé, en restera le témoin le plus démonstratif. Cette perversion et esthétisation de cette boucherie perpétré par un gang de vampires dalleux (à se demander comment David Slade a pu réaliser un Twilight...) marque la fascination pour le réalisateur à magnifier par le biais de couleur léchée et primaire une violence extrême, que sa participation à la série Hannibal se chargera de confirmer.
A me lire, on pourrait aisément penser que 30 Jours de Nuit demeure dans le paysage du cinéma horrifique un OFNI loin des canons divertissants du genre, pourtant, et là réside la plus grande force du film, il n'hésite pas à plonger tête baissée dans les codes de série B au travers de certaines lignes de dialogues savoureuses ("hey heyhey come on motherfuckeeeers !!!") ou de certaines scènes basées sur le simple plaisir de voir du vampire se faire démonter la gueule. Le paradoxe naissant de cette double-ambition se retrouve dans la bande originale parfaitement adaptée au film signée Brian Reitzell, aujourd'hui connu pour sa contribution au caractère expérimental d'Hannibal (décidément...) et qui accompagne ces 30 jours d'une main de maître.
Finalement, c'est dans le concept même de survivre un mois dans la pénombre avec une dizaine de psychopathes aux dents longues à ses trousses qui ne tient pas ses promesses. Bien que tirant de ce phénomène naturel (la nuit, pas les vampires) une ambiance unique, David Slade pêche par son manque de maîtrise de la temporalité et de ce qu'elle implique pour ses personnages. A contrario de Darabont avec son The Mist, le film omet quasiment toute la fragilité psychologique de ses personnages, la faute à des ellipses mal choisies. Excepté une esquisse de ce qu'aurait pu être un conflit interne entre deux survivants et les marques de fatigue sur le visage des comédiens, tout l'enjeu du film consiste à subvenir à ses besoins et à se cacher. Un manque d'épaisseur et d'humanité que chaque comédien parvient à faire oublier par une présence solide à l'écran, en particulier Josh Hartnett, acteur oublié des années 2000 et grandement sous-estimé. Par la puissance de son regard clairvoyant, Hartnett transmet parfaitement l'épuisement lié à la situation et justifie son acte final, d'une noblesse et d'une beauté inattendues.
Car 30 Jours de Nuit, c'est aussi une touchante conclusion en demi-teinte (dans le sens "happy end ou pas happy end ?" et pas "c'est nul mais pas trop"), rappelant celle de Sunshine par certains de ses aspects, (là ça va spoiler vaguement, navré) notamment dans cette idée du nouveau commencement symbolisé par ce magnifique lever du soleil, enveloppant les quelques survivants de sa chaleur synonyme de sécurité.
De cette beauté visuelle naît une fascination pour ces grandes étendues quasi-désertiques de l'Alaska malgré une erreur sur la marchandise un peu décevante, le film ayant été tourné principalement en Nouvelle-Zélande.
Bien que légèrement trompeur, 30 Jours de Nuit se place aisément en haut du panier d'un genre plus prolifique qu'innovant, grâce à son esthétique soignée et son rythme réfléchi et infaillible.
(merci à TheBadBreaker pour le titre de la critique)