Terrence, ils se sont moqués de toi, ils t'ont hué à Venise, ils t'ont considéré comme fini. Terminé le grand Terrence de Tree of life. En voyant des 3 déferler sur Sens critique, des critiques assassines dans les journaux, j'ai cru un instant que tu étais bel et bien fini. Je m'apprêtais à faire mon deuil et à me passer en boucle tes anciens films en pleurant ton génie perdu. Que de craintes inutiles, franchement.


Ce n'est pas un film. C'est un poème, une prière. Une expérience. D'un côté des moments de fulgurance, de grâce totale. Des choses vraiment ratées de l'autre. Ca ne ressemble à RIEN de ce qui se fait actuellement au cinéma.


Tout le monde dit que papi Malick se répète. Qu'il nous refait du Tree of life mais en beaucoup moins bien. Justement, j'ai trouvé To the wonder très différent de ses autres films. Oui, tout n'est que lumière, couchers de soleils, voilages, chants d'oiseaux. Peu de dialogues, voix off omniprésente, plans sur les choses les plus prosaïques de notre quotidien. A ce niveau là, rien de nouveau. Ce qui change, c'est le ton. To the wonder m'a semblé incroyablement grave, pesant, voire même déprimant. Le couple principal ne cesse de se séparer, de se retrouver et de se battre. Rachel McAdams est seule dans son ranch, a perdu un enfant, est abandonnée de tous. Le prêtre joué par Javier Bardem voit défiler tous les miséreux de la ville devant lui, tous ces gens en souffrance que Dieu semble avoir abandonné.


De Dieu, il en est question. Beaucoup même. On sent que le film est totalement habité par la religiosité, du Mont Saint Michel au personnage du prêtre en passant par les dialogues qui font très souvent référence à celui d'en haut - s'il existe. Plus le temps passe, plus Malick semble avoir envie de se pencher sur ce sujet. Il le fait avec beaucoup de candeur, maladroitement même (mais qui est assez fort pour aborder ce genre de sujets, franchement?). En tout cas, il n'est pas prosélyte. Et je ne cesserai jamais de le répéter : pas besoin d'être soi-même croyant pour apprécier son cinéma. La séquence, à la fin, où le prêtre a une sorte de révélation sur la présence de Dieu tout autour de lui est d'une beauté sidérante. Javier Bardem a toujours le ton juste, les bons gestes, un jeu véritablement habité. C'est lui, la merveille du film. On apprend en tout cas que la foi n'est pas une affaire privée, qui se vit entre soi et soi-même. Elle est au contraire pleinement en lien avec l'Autre : Rachel McAdams demande à Ben Affleck de prier avec elle, le prêtre est totalement dévoué à ceux qui l'entourent, le mari se met à genoux devant sa femme qui a tout à coup l'air d'une madone...


L'homme derrière la caméra est plus qu'un réalisateur prestigieux : c'est un grand humaniste. Quelqu'un qu'on aimerait connaître.


Le thème que je retiens du film, ce n'est ni l'amour, ni Dieu. C'est l'errance de nos vies. Cette impression de vivre mais d'être sans cesse perdu. Les personnages sont assez souvent seuls et quand ils sont ensemble, ils se regardent si peu, ne se parlent pas et errent dans des pièces presque vides. Ils ne s'installent jamais vraiment, ne s'occupent pas de défaire leurs cartons et sont souvent en partance (voitures, aéroports, routes). Ils n'ont pas vraiment d'histoire, pas de noms, pas de traits de caractère très marqués. Ce ne sont même pas des personnages, mais des ombres. Ils incarnent tous différents types d'amour. L'amour divin, l'amour fou, l'amour d'enfance. Ces personnages sont souvent montrés en train de marcher, en quête de quelque chose, mais de quoi ? Ils ne le savent pas. Marina le dit : "Je ne sais pas où je vais". C'est exactement ça. Après qu'elle ait trompé son mari, elle se retrouve seule dehors, dans une grande rue, l'air totalement perdu. Cette scène, en apparence si anodine, m'a fait immédiatement pleurer. J'ai eu l'impression que Malick avait touché là où ça fait si mal. Comme si, rien que dans cette scène, il avait montré le non sens de nos vies, la solitude de chacun alors qu'on est entouré de tant de gens, le sentiment d'être toujours en quête d'une chose qu'on ne trouvera jamais. Quand je vous dis que To the wonder est pessimiste ! La seule voie de sortie, pour ces personnages, c'est la foi. Whether you like it or not, comme dirait Father Quintana.


Comme toujours, c'est sublime de bout en bout. Il y a des moments de beauté étourdissante. L'esthétique malickienne est si proche des rêves, de nos propres rêves. Doux clapotis de l'eau, pièces plongées dans une semi obscurité, vols d'oiseaux dans des ciels chamarrés...Malick a un don pour filmer la nature et nous faire voir le monde avec des yeux nouveaux. Cela donne vraiment envie d'aller faire une escapade dans ces états du Sud des Etats Unis (Malick a un amour sans bornes pour son pays, on le sent). Rachel McAdams et Javier Bardem contribuent aussi à l'esthétisme sublime de ce film, tous les deux dans des registres différents. Elle, si belle, fait virevolter sa robe rouge écarlate dans des champs de blé, monte doucement les escaliers d'une vieille maison, offre ses lèvres à son ami d'enfance. Lui, prête une oreille attentive aux malheurs des habitants de la ville, aide un vieil homme à marcher, observe une jeune mariée sortir de l'église au son d'une musique tonitruante. Deux personnages touchants, gracieux, qui apparaissent si peu dans le film...


Le couple phare de To the wonder est incroyablement bancal. Affleck est LE point noir du film. Qu'il ne parle pas, qu'importe. Mais il y a quelque chose de...vide dans son regard. On a l'impression qu'il ne sait pas trop ce qu'il fait là, qu'il joue pour Malick parce que c'est Malick mais qu'il n'a pas l'air très emballé par sa propre présence dans le film. Il devrait se concentrer sur la réalisation. Olga Kurylenko est à la fois horripilante et sublime. Elle bouge trop, on a l'impression de voir une petite fille. Ok, elle est fantasque, mais pas la peine de la montrer sans cesse en train de courir partout et de tourner sur elle-même, ça devient vite lassant (sans parler du plan où elle baise les pieds de son mari...Ouais ouais, j'ai compris la symbolique religieuse mais faut pas pousser Terry. On n'embrasse pas les pieds des gens. C'est comme ça.). La voix off en français m'a exaspérée. Je suis désolée de vous annoncer ça, fervents admirateurs de notre langue, mais le français et Malick ne sont pas compatibles. Les anglophones trouveront sûrement que le french c'est so chic. Pas moi. Ce que Marina dit n'est parfois même compréhensible. Sa fille, Tatiana, fait des fautes de langue très choquantes d'ailleurs. "Tu vas la marier?". Ouille, mes oreilles saignent. Et puis, le "on s'engueule" en français, ça fait un peu tâche dans un film aussi beau.


(Au deuxième visionnage, tout s'est éclairé pour moi. Ben Affleck paraît transparent, il l'est peut être mais cela correspond si bien à son personnage, à cet homme ancré dans le sol, qui côtoie sans cesse les machines. Un homme aux larges épaules qui cherche à dominer son entourage et la nature, un avatar moderne du colonisateur du Nouveau monde. La femme, elle, est l'exact opposé de son mari. Elle danse, s'abaisse, court, se vautre par terre. C'est too much parfois, et en même temps, tout laisse à penser qu'elle devient malade mentale à la fin du film. La fin, est en tout cas, un sublime espoir de liberté pour cette femme. Elle a cessé de courir, de danser. Enfin, elle marche tranquillement vers le soleil couchant.)


Avec un peu de recul, ce que me plaît dans ce film, c'est le souvenir qu'il me laisse. Je n'arrête pas d'y penser. Certaines images surgissent dans mon esprit, sans prévenir, et je ne peux m'empêcher de les trouver réconfortantes. Certaines phrases reviennent en ma mémoire. Il me tourmente..Je n'en demande pas plus à un film : qu'il provoque des émotions en moi, qu'il me hante après l'avoir vu. C'est le cas de To the wonder, et rien que pour ça, je le défendrai.


Je comprends ce qu'on reproche au film. Vraiment. J'ai envie de pleurer quand je vois des gens critiquer Tree of life. Mais pour To the wonder, je comprends les déceptions et les critiques. Son cinéma est vraiment de plus en plus abstrait. Il ne nous prend pas par la main. A nous de déchiffrer les images, de les chérir, de trouver un sens. Notre sens. Malick nous bouscule, nous énerve, se la joue démiurge mais quand il nous touche, c'est en plein coeur.


A retrouver sur mon site, film rover

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le 7 mars 2013

Modifiée

le 1 avr. 2013

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