Vivement qu'elle les tue. C'est ce que je me suis surpris à dire pendant le film. Hors contexte c'est assez horrible de penser cela. La raison de cette pensée, c'est que je m'ennuyais et que je me doutais bien au vu du premier plan, que le film s'arrêterait juste après la mise à mort des mioches.

J'aime bien Lafosse pourtant. Un des rares cinéastes belges à pouvoir lier social et divertissement. Car souvent le genre porté aux nues par les frères Dardennes exaspère de son misérabilisme ambiant. Lafosse évite cela le plus souvent, ici aussi d'ailleurs. En revanche, ce qu'il n'évite pas, ce sont les problèmes liés à l'adaptation d'un fait réel. C'est bien beau de vouloir faire un film réaliste, mais il ne fau pas oublier qu'une narration fictive ou documentaire suit des codes différents de ceux de la vraie vie : une structure, une épuration de la psychologie des personnages. Si l'on devait écrire des personnages comme nous sommes dans la vraie vie, le film n'aurait aucune cohérence. On sait bien que les sautes d'humeur sont courantes pour tous, dans un film cela n'aurait pourtant pas de sens.

Tout cela est lié au manichéisme. J'aime le manichéisme car cela permet de fixer des limites claires et cela n'empêche absolument pas de traiter d'un sujet sérieux en profondeur. Au contraire, une fois les personnages délimités il est plus rapide d'entrer dans le vif du sujet. Lafosse brosse ici trois portraits intéressants mais flous. Flous justement parce que l'on évite d'en faire des gentils ou des méchants. Ainsi, le beau père est un salaud, c'est sûr, mais il faut avouer qu'il n'est pas que ça et que l'on peut parfois comprendre son point de vue. Pareil pour le mari. À se demander même si cette folie naissante ne serait pas indépendante de cette situation.

Folie d'ailleurs qu'il ne nous est jamais donné de réellement comprendre. C'est paradoxal car Lafosse filme au plus près des corps mais n'entre jamais dans aucun personnage. Ces derniers ont l'air de se mouvoir malgré eux dans cette affaire sordide. De ce fait, le film semble superficiel. Car ne pas donner à comprendre, c'est ce contenter de regarder les yeux fermés. Je ne demandais pas une lourde réflexion philosophique, simplement un investissement plus important dans les personnages. Ce manque d'investissement fait que tout est décousu, que le réalisateur aurait très bien pu faire un court métrage avec un la dernière demi heure sans que ça ne soit choquant.

Une narration sans continuité si ce n'est les faits. Des faits creux, vidés de leur sens à cause d'une approche trop distante, trop neutre. Ce point de vue n'est pas entièrement mauvais. Lafosse, de la sorte, évite avec sagesse de sombrer dans le pathos, le sensationnel. Il faut dire aussi que tout le monde l'attendait au tournant en Belgique. Avant même que le tournage ne commence, le film s'est vu critiqué de toutes parts comme étant une œuvre opportuniste. Joaquim montre bien qu'il veut aller plus loin que ça, mais échoue, peut-être cause de la pression, ou simplement parce qu'il est dur de se détacher des faits quand on adapte un fait réel. Car ce qui manque le plus dans le film, c'est bien la liberté d'écriture.

Ce qui est étrange c'est que l'auteur affirme en avoir pris beaucoup, que le fait réel n'a servi que d'inspiration. Dans ce cas j'attribue la faute à une volonté de sonner vrai et donc de ne pas donner plus de corps aux personnages. C'est sans doute très pro manichéen de dire ça, mais par exemple le personnage du beau père, j'aurais voulu le voir plus que ça en action en train de manipuler le couple. Le diaboliser un peu.

Côté mise en scène c'est donc assez pénible. Lafosse filme au plus près des corps, la caméra à l'épaule. L'image tremble inutilement. Le film manque de scènes fortes mettant en avant l'action, les personnages. Les filmer aussi près en plus, c'est montrer qu'il ne se passe réellement rien, qu'il n'y a rien à analyser. Plus on zoom dans une image, moins on en voit la globalité et donc moins on en voit les tenants et les aboutissants. Je pense donc qu'il aurait été plus intéressant de film avec beaucoup plus de distance. Déjà cela aurait suivi l'écriture très froide, ensuite, cela aurait permis de mieux 'voir'. Peut-être cela aurait donné un côté surréaliste à certaines scènes, mais quand on traite de la folie c'est pas plus mal.

Côté acteurs on est bien servi. Bon les gosses sont complètement sous exploités, c'est ptet pas plus mal car ils n'ont pas l'air très bons. En revanche les adultes sont très bien interprétés. Et puis en plus j'ai toujours eu un fable pour la jolie Emilie.

Bref, un film qui ne tient pas ses promesses : pour filmer la folie il ne suffit pas d'écrire un récit décousu, il faut au contraire trouver la logique de cette déraison. Pour cela il faut investir plus en profondeur les personnages et n'ont pas s'en tenir à une suite de faits dénaturés. Lafosse échoue donc, en mon sens, à retranscrire une histoire qui avait pourtant un grand potentiel (surtout compte tenu des obsessions du réalisateur, c'est assez étonnant).
Fatpooper
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le 30 mars 2014

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