Le Diable s'habille en Armure.
Fomidable est l'expression de la beauté dans tout ce qu'elle a de plus vivant dans Aguirre, der Zorn Gottes. Telle une déité curieuse, elle ne se prive pas de titiller nos sens, qu'ils touchent à l'esthétique visuelle ou sonore de cet atypique long-métrage signé Werner Herzog. Ce dernier n'a pas hésité à jouer sur les antagonismes, à user de l'affrontement sourd de tout et son contraire à l'image du fleuve, représentation opportune et habile de colère et sérénité. L'eau porte, nourrit, transporte, et détruit. Elle est à la fois vengeance et récompense, aimante et cruelle, elle est, à l'image de la Nature, la veuve noire de l'existence. La caméra s'empare de cette nature pour nous propulser en son coeur avec une maitrise raffinée qui est parvenue à assainir mon âme de sa magie étrangement calme.
Au 16ème siècle, une expédition espagnole entreprend un périlleux voyage à la recherche de l'or du fameux chimérique El Dorado. Noblesse étant partie de l'aventure, le commandement de la troupe écherrait logiquement à la tête de l'un de son plus haut représentant. Indifférent à cela, Aguirre est un gradé d'influence qui tient d'une poigne féroce ses soldats. Sa personnalité et son ambition comme léguée par les cieux forment l'élément déclencheur de ce cheminement, lequel semble conduire tant au-delà de la simple condition humaine qu'en harmonie avec elle. Oui, car tel un envoyé béni par les dieux, l'ascendant psychologique de Aguirre envers tout et tous ne cesse de croître.Commandant de l'expédition ou non, cela importe peu car c'est bel et bien Aguirre qui les contrôle de sa démarche chaloupée si particulière, de son regard vide incrusté d'une lueur impitoyabe et sa détermination presque divine.
La bande sonore est sensationnelle. Non content de nous gratifier de musiques fort agréables, Herzog nous fait ressentir autant par les yeux que les oreilles la Nature dans ce qu'elle a de plus fascinant. La beauté de Aguirre, der Zorn Gottes tient en tous les éléments dont elle s'empare. Même la mort la plus terrible en vient à être presque belle tant la folie dans ce qu'elle a de plus magistral s'immisce furtivement pour finir par se révéler avec effronterie, mêlant sa sombre cause à l'équilibre fascinant de la Nature à l'entour. L'ironie de la situation est que c'est justement la folie qui unifie tout. Tous les éléments finissent par se rassembler en une entité unique, puisque errant dans le même but : la mort. Vie et mort ont beau s'affronter, elles n'en demeurent pas moins inséparables. Aguirre est l'incarnation de ce constat, le seul fou, le seul à se mouvoir au coeur du chaos et du désespoir avec une aisance déconcertante.
La performance de Klaus Kinski dans ce rôle n'est rien de moins qu'exceptionnelle. Saisissant, son Aguirre, imperturbable dans sa macabre folie, sa croisade d'un Nouveau Monde, cette quête insensée d'une perfection qui semble se refuser à ce qui n'est que Homme, que poussière et futilité. Alors il laisse le diable s'appeler folie sereine et l'entrainer avec sa volonté la plus farouche dans les recoins les plus refoulés de l'âme humaine. C'est cela quand on décide de refouler sa condition d'Homme. La folie est notre ombre, indissociable de notre être. Laissez l'ombre vous envelopper de son étreinte inexorable et vous verrez plus clair que jamais. La lumière est si fascinante. Après tout, ne dit-on pas que la mort d'un homme est consécutive à une lumière blanche ?