Acteur devenu star de la télé (via Docteur Morange sur TF1), Gauthier Valence souhaiterait faire dans le noble. Il quitte la fosse parisienne quelques jours pour mettre en branle le chantier censé en faire un grand monsieur, type prestataire de la Comédie Française, voire invité de prestige ou même larbin d'honneur si ce n'était trop demander. Au terme d'un harassant voyage en train puis en taxi, il retrouve un ancien contact parti se planquer à l'île de Ré après son décrochage il y a trois ans (argument professionnel : le monde du cinéma (acteurs et metteurs en scène) est un panier de crabes). Il lui propose de jouer dans sa première sur les planches (en tant qu'acteur et directeur), une adaptation du Misanthrope de Molière. Gauthier (Lambert Wilson) s'octroie le rôle principal, celui d'Alceste, vénéré par Serge (Luchini) – qui justement est proche de la misanthropie. Luchini devra jouer Philinte et finit par accepter – après tout les frustrations ont le mérite de fructifier les rancœurs, d'épicer la haine et de donner des raisons – que le vomi et la mesquinerie aient pas l'air trop gratuits.


Les ambitions sont claires et le résultat routinier. Le matériel déployé pour mettre ces deux types face à leurs contradictions est sommaire. Il y a bien quelques ébauches de dissertation plantées tout le long d'un scénario éclaté, mais les répliques percutantes sont du côté des mots vachards. Les petites intrigues de chacun fusent dans tous les sens, sans trop plomber ni enflammer la partie. Les portraits de Serge et Gauthier apportent au film le principal de sa richesse, même s'ils sont statiques à cause d'une mise en crise superficielle – du moins pour ce que le spectateur reçoit. Luchini campe une espèce de trou noir aigri, plus malin que véritablement moraliste ou engagé dans sa logique. Il se montre hostile aux exigences ''modernes'' et au nivellement de l'art par la demande du public. Au contraire Gauthier/Wilson est sans égards pour les classiques, bien qu'il se serve des hautes références pour nourrir ses espoirs de triomphe mondain.


La conclusion étant rapide à atteindre (et à déceler), le film multiplie les chemins de traverse et tend à se répéter. Wilson est embêté avec son image, Luchini le rigide pique ses crises (l'introspection maussade n'est pas son costume le plus convainquant), les gens viennent parler à Gauthier de ses rôles à la télé – niaisement évidemment. Quelques petites percées incongrues viennent égayer le processus (et Evelyne Le Merdy [Alléluia, Quand on est amoureux c'est merveilleux] fait une de ses fabuleuses apparitions, pour parler de sa nièce dans le porno). Au début surtout, le film pose un contraste entre les deux mecs bien avancés en société, mais sans avoir eu à suer ni se dépasser ; et le petit peuple : des ouvriers, serviteurs (taxis) ou commissionnaires petits-bourgeois et très gros-blaireaux (l'agent immobilier). Mais cette réunion est stérile, le choc n'a pas lieu, à l'exception d'un gnon sur le marché local.


Finalement Alceste à bicyclette (excellent titre) est proche du pot-pourri des drames de chambre et téléfilms français tranquilles et libérés. Sous le tandem royal et les promesses de petit point culture, le tableau de fond est simple : l'escapade de parigot dans l'arrière-pays lissée et filmée pour ne trop rien dire. Les personnages clés en attestent : ainsi, Francesca l'italienne quarantenaire est l'exception magnifique au milieu des péquenauds et des cathos. Voilà la femme caractérielle mais 'bonne' de fond, rendue à un moment de rupture dans sa vie avec rien d'écrit devant ; c'est la seule à ne pas se laisser impressionner par la notoriété, la seule des rencontres à valoir le coup et à se donner ensuite. Puis il y a mieux : la jeune candide blonde, forcément, va tomber comme une fleur sur un texte et le réciter avec une maestria parfaite (selon les deux hommes, peut-être corrompus par ses supposés charmes).


La séance se ferme sur la vengeance de Serge parvenant à faire son Alceste : pas le droit d'être le méchant sur scène, il le sera IRL ! (conformément à son caractère de base d'acariâtre compromis mais continuant à se gargariser de son petit numéro de fouine subversive). Depuis le tournage de ce film en 2012, Luchini rabâche sur cette pièce [Le Misanthrope] et s'extasie sur le cas d'Alceste dans l'ensemble de ses apparitions médiatiques. Cette séance à bicyclette près du bunker de Jospin (qui en est ressorti pour un coucou dans Le Nom des gens) est la consécration sur grand écran de sa passion pour Molière, six ans après son second rôle dans le Molière de Laurent Tirard (pour Monsieur Jourdain). C'est aussi la quatrième fois que Philippe Le Guay le met à l'honneur dans un de ses films (après L'Année Juliette, Le Coût de la vie, Les femmes du 6e étage – dans ce dernier le vieux con s'émerveillait, toutefois sa base de départ était plus douce).


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le 6 juin 2016

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