"Qu'on lui coupe la tête !"

L'écrivain italien Alberto Moravia, qui était également (entre autres activités) critique de cinéma, disait qu'avec l'"Alice au pays des merveilles" version Disney, on était, sur le plan de l'adaptation, proche de la catastrophe.

La lecture du chef-d’œuvre de Lewis Carroll ne laisse en effet aucun doute : ce fleuron de la littérature anglaise est d'une telle richesse, d'une telle complexité aussi, qu'il eût été, de la part de Walt Disney, non seulement stupide, mais aussi suicidaire, de prétendre rendre sur l'écran la poésie si particulière du style même de Carroll (ses mots, ses trouvailles verbales, au-delà même du contenu en soi : bref, la forme tout autant que le fond).
Et cela, ce vieux renard de Walt (près de 15 ans après son chef-d’œuvre fondateur, "Blanche-Neige et les sept nains", en 1937) l'a bien compris : en effet, quand on voit son "Alice", on s'aperçoit assez vite qu'il n'a, visiblement, pas du tout cherché à traduire en images l’œuvre de Carroll... Et c'est tant mieux ! Libérés de cette mission impossible, Disney et son équipe ont pu se concentrer sur l'essentiel : le film.

"Alice au pays des merveilles" est donc un film fou, le plus audacieux de tous les Disney : aucune réelle progression dramatique, des personnages parfois franchement déroutants (Tweedle Dum et Tweedle Dee), quand ils ne sont pas à la limite de l'antipathie (l'irrésistible autant qu'irritant Chat du Cheshire, ou Chat-foin dans la version française). Et que dire de la Reine ? Sa cruauté légendaire a fait des générations d'angoissés !

Sorti après le classieux "Cendrillon" (1950), "Alice au pays des merveilles" s'avère être aujourd'hui le film de Walt Disney qui vieillit le mieux ; et cela, il le doit à sa structure audacieuse, sa progression alambiquée, sa modernité en somme.
En cela, c'est tout de même, sinon dans le résultat final, du moins dans l'esprit, une œuvre fidèle à Lewis Carroll : libérée de toute contingence narrative, cette "Alice" laisse éclater sa folie.