Du coté des "Fils de...", le moins qu'on puisse dire est que l'hérédité de Mathieu Demy est au moins aussi chargée que celle de Charlotte Gainsbourg... Ses deux parents n'étant ni plus ni moins que deux des cinéastes français les plus importants et novateurs du demi-siècle qui vient de s'écouler...

Alors, comme déjà tout petit il adorait faire le couillon devant les caméras, c'est vers une (belle) carrière d'acteur qu'il s'est orienté... Le cinéma français y avait gagné son charme lunaire, son sens du comique assez unique et même une noirceur insoupçonnée, parfois...

Mais voila, ça doit être dans les gènes tout ça... Et ça vous rattrape un jour, même sur le tard...

Et voila que sort récemment le tout premier film du "petit" Mathieu, à nouveau débutant et de nouveau, cette fois - plus que jamais - estampillé "fils de"...

Du coup on l'attendait, tuant père et mère et totalement à contre courant pour affirmer sa personnalité ou même son égo et certains, sans doute, l'attendait même au tournant...
Et tout le monde s'est planté, ou presque...

Parce que le point de départ du film est bel et bien la mort d'une mère... Mais pas celle de Mathieu D. (la grande petite et belle Agnès V) mais celle de Martin, le personnage du film...
Quoique, lors de la lecture d'une lettre en voix off, c'est bien la voix d'Agnès V. qu'on entend et que le voyage à L.A. rappelle étrangement un pan de la vie ET de la filmographie de Papa/Maman...
Du merveilleux Model Shop à l'épatant Documenteur, entre autres...
Et d'autant que le Martin du film recherche une mystérieuse Lola qui se trouve étrangement être strip-teaseuse et vaguement pute...
Sans parler de cette histoire de passeport et de double nationalité qui donne son titre au film...

Dans le genre brouillage de piste, Mathieu Demy ne s'arrête pas là puisque les flasbacks du film où on le voit enfant sont directement tirés du beau Documenteur de Maman dans lequel le tout petit Mathieu (8 ans) faisait l'andouille et du skate et dans lequel Sabine Mamou jouait la maman de Martin et non de Mathieu, devant la caméra de sa vraie Maman Varda dans un film à forte teneur documentaire et autobiographique (si ma mémoire est bonne)...

Loin de tuer le père et la mère, Mathieu D. s'inscrit avec fierté (et pour cause !) dans leur droite (ou sinueuse...) lignée (la fin du film évoquant les hasards et coïncidences si chers à Demy, les jeux avec le réel de Varda et l'aspect ludique, exploratoire et joyeux des deux ) tout en proposant un film très original sur la filiation en forme de jeu de piste totalement cinématographique, en mouvement permanent, bourré de faux-semblant autant que de réel et souvent beaucoup plus drôle que le sujet ne le laisserait supposer.

Par exemple, Les 3 gifles du film m'ont fait chaque fois éclater de rire...
Le "tu fais du boudin" de Mocky ou "l'hystérie" de Geraldine Chaplin dans la décapotable qui ramènent chaque fois le personnage de Martin - l'espace d'un instant - à une sorte de gamin irresponsable que joue Mathieu D. à la perfection dans un idéale distance entre le comique et le tragique sont de vrais moment de rigolade.
Et Mathieu Demy n'a jamais été aussi bon en tant qu'acteur que dans cet Americano.

De ce point de vue, ce qui frappe le plus dans Americano, c'est sa capacité de noirceur et même d'antipathie qui avait déjà été exploitée par ailleurs (je pense au très beau film de Bercot, Mes chères études... notamment) mais qui n'avait jamais rendu cet acteur si inquiétant parfois...

Car si Mathieu Demy parvient à démontrer de vrais talents de metteur en scène et de scénariste dans Americano, (Le travail sublime sur le grain de l'image et les couleurs : chapeau bas au directeur de la photo Georges Lechaptois !) c'est d'abord l'acteur qui en ressort incroyablement grandi...
Je crois ne l'avoir jamais vu dans aucun film déployer une telle palette...
Mais les acteurs sont comme les enfants, ils grandissent, évoluent et parfois montrent un nouveau visage qu'on ne leur connaissait pas...

Il faudrait d'ailleurs dire un mot du reste du casting absolument formidable:
Jean-Pierre Mocky - très grand acteur vraiment sous exploité - est ici formidable dans le bref rôle de... Agnès Varda (à chercher tant de piste on s'emmêle les pinceaux).

Geraldine Chaplin est simplement géniale, à la fois hilarante et pathétique dans le rôle de la veuve éplorée, en quête de reconnaissance et un poil hystéro.

Salma Hayek trouve là son plus beau rôle depuis Frida - ni plus ni moins - et l'on ne s'étonne guère qu'une star hollywoodienne de son envergure ait signé pour ce projet probablement fauché vu la qualité du scénario et la belle mise en lumière qu'offre ce personnage vraiment pas très loin de la Lola de Demy (Jacques)...
Juste que les temps ont changé et que les strings ont remplacé les guêpières...

Bref, alors qu'on s'attendait tous, sans doute à ce que le "petit" Mathieu sorte de la filiation qu'on pourrait croire pesante, il signe là un très joli film dont le coeur même est la filiation (et pas QUE la sienne ou celle de Martin, sans révéler la fin...) mais dont tout le mécanisme même de la mise en scène comme du scénario repose sur ce jeu de rôles ou de cache cache entre la réalité et la fiction, la déclaration d'amour au père et à la mère autant qu'au cinéma et à ses jeux de mouvement et de miroirs... Et qui me parait être en définitive un film bien plus personnel qu'il n'y parait...

Et j'irais même plus loin en affirmant qu'Americano, en toute pudeur, est sans doute bien plus que simplement "personnel", il me semble être un film "intime".

PS: un tout petit mot sur la musique sublimissime de Georges Delerue, la BO du film en général et la magnifique typo du titre (et du tatoo) de M/M
Foxart
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le 12 août 2014

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