Je savais très bien vers quoi je me dirigeais en rentrant dans la salle : Haneke est un scalpel de l'âme et des relations humaines, et ses études de philo et psycho ne sont sûrement pas étrangères à l'intellectualisme de ses films froids et incisifs. C'est aussi un cinéaste très brutal car sa violence est avant tout morale, donc plus marquante. Mais c'est aussi (et surtout) un vrai regard sur le monde, sur l'Homme, et ses films en apprennent toujours un petit peu plus sur nous-même.
Par conséquent, je ne cacherai pas que ma déception est immense : Outre un début laborieux (dû à une direction d'acteur plutôt limite), le film s'enlise rapidement dans son propre voyeurisme malsain. Je comprends parfaitement les intentions d'Haneke (montrer ce qu'est l'Amour, le vrai, qui consiste à supporter l'enfer pour l'Autre) mais doit-il nous infliger la lente et inexorable décrépitude d'Emmanuelle Riva de manière si frontale ? J'ai éprouvé devant Amour le même malaise que j'ai vécu avec La gueule ouverte, de Maurice Pialat : filmer l'infirmité pour dire d'être sans détour, non merci. La dernière heure est particulièrement pénible non par compassion pour Trintignant (qui est extraordinaire, comme Riva) mais parce que je ne supporte pas, à titre personnel, cette façon de montrer l'intimité : crue, frontale, répulsive.
Le fait est que la mise en scène d'Haneke n'est pas davantage inspirée que tout cela, entre ces plans-remplissage (la bonne qui aspire le tapis pendant 2 minutes... ouais) et quelques travellings dans un décor qui aurait pu être utilisé de bien meilleure manière que comme simple décor de fond. Haneke a délaissé le temps de ce film toute sa distance, toute sa pudeur, pour un résultat décevant et très loin d'être représentatif de son cinéma. La Palme d'Or semble d'autant plus insultante de ce point de vue.