Je vais parler de la version Redux (il s’agit de la version « Director's Cut » du film original). Plus qu’une version longue, il s’agit d’un montage alternatif (avec notamment une fin différente), qui s’étend néanmoins sur trois heures et quatorze minutes. J'ai pu voir la version originale après coup, et je préfère le montage de Redux.
Apocalypse Now Redux est un film sur la guerre. Sur la guerre du Vietnam, certes, mais sur la guerre en général. Sur cette blague pas drôle, sur ce combat trop souvent absurde. Sur ces gens fous par nature, car endoctrinés par la connerie de la patrie souveraine ; sur ces gens rendus fous par l’horreur de la guerre. Alors que « Mash » tournait la guerre en dérision, et que « Dr Strangelove » en faisait une satire jaune, Apocalypse Now Redux exhibe sans honte ni photographie malsaine le cadavre de l’homme appelé. Vivant pour la patrie, mort à la guerre, il ne reste de lui qu’une bête, qu’un monstre… l’ombre de lui-même, déformée par un soleil qui tarde à se coucher, sur une âme qui ne connaîtra plus jamais la lumière. L'illustration parfaite du chiasme de Paul Valery « La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. »
Outre une bonne qualité d’image, une très bonne photographie (les couleurs sont très audacieuses, de bons jeux sur les contrejours, des éclairages travaillés et variés) et un excellent cadre, on appréciera dans l’ensemble la qualité des acteurs. Cette version particulière apporte entre autres une scène se déroulant dans une plantation française de caoutchouc, avec des acteurs français bilingues et de qualité, ce qui est rare et franchement appréciable (les entendre alterner entre français et anglais selon les émotions et les interlocuteurs fait rudement plaisir). On appréciera le fabuleux rôle de Marlon Brando, à contrepied, et clef de voûte du film, ainsi que pour l’anecdote, un Laurence Fishburne de 14 ans, tout fou.
Un film à voir, vraiment. La version blu-ray est par ailleurs d'une qualité incroyable, et les bonus permettent d'apprendre beaucoup de choses fascinantes sur un tournage « pas comme les autres », que l'on soupçonne à peine au visionnage tant ce cadavre exquis parvient à tenir debout, alors que personne ne semblait savoir où ils allaient, pas même Coppola. Malgré la violence du sujet, ce n’est pas un prétexte à l’horreur incarnée, froide et sans réel but comme peut l’être celle des jeux vidéo. C’est ce qui rend son visionnage supportable, moi qui suis d'ordinaire sensible et mauvais public devant la violence ordinaire, celle du vingt heures et de Call of Duty.