"........ This is the end ...
Beautiful friend .......
...My only friend... The end..."
Drôle d'idée de commencer ton film par une fin, Francis. Mais après tout, si l'apocalypse est d'aujourd'hui, le début, primitif, peut bien se retrouver à la fin.
Mais pour parler de cette fin, de cette apocalypse qui revient à nos débuts, toi, tu ne prends pas le recul d'un observateur prudent qui se targue d'être objectif, non, toi, tu fourres ton nez dans la boue, dans la folie des masses cérébrées, dans la puanteur des cadavres, de l'absurde, du dégueulasse, du féérique, du grand spectacle américain pour mieux comprendre de quoi l'horreur découle, comment un tel merdier a pu se produire.
"My film is not about Vietnam, IT IS the Vietnam"
Lucas et Milius voulaient d'Apocalypse Now une forme documentaire, un film tourné rapidement en 16mm, avec tout au plus deux hélicoptères, mais toi, non, tu avais en tête une autre idée. Tu voulais faire un projet gigantesque, tout ce qu'Hollywood pouvait cracher sur un écran devant des spectateurs médusés. Tu ne voulais pas faire un film sur la guerre du Vietnam, tu voulais que ton film transpire le Vietnam, que chacune de ses pores libère le m'as-tu-vu, la puanteur et l'absurdité d'un tel conflit. Un film tourné dans les mêmes conditions que son thème, tu es dingue Francis, mais tu es génial.
"...Of our elaborate plans....... The end...
....Of everything that stands... The end...
....No safety or surprise......... The end...
....I'll never look into your eyes.... again..."
Tu deviens fou Francis, tu veux mourir, tu craques, tu veux simuler la maladie pour fuir cette folie, mais non, tu y es embourbé, les deux pieds dans le plat, c'est toi qui as le pognon, tu l'as claqué pour ton projet, et maintenant, tu as peur de la petite souris prétentieuse dont pourrait accoucher ta montagne magique. Tu as peur de tout perdre parce que tu as tout engagé. Ton allégorie te rattrape, Francis.
"...Can you picture what will be.....
.....So limitless and free....
...Desperately in need...of some...stranger's hand
...In a...desperate land"
Des typhons détruisent tes décors, tu perds un temps et de l'argent fou à tenter de récupérer les hélicoptères réquisitionnés par l'armée du dictateur philippin. Tu ne sais pas ce que tu fais, et ça te tue, tu aimerais plus de temps pour réfléchir à la fin de ton histoire, mais Brando te fout la pression, tu n'en peux plus, tu penses avoir atteint les limites de ton génie artistique, "fuck off !".
Ton sujet te dépasse, tu n'arrive pas à le retourner, à le comprendre dans son intégralité, tu as la tête sous l'eau et tu travailles à l'instinct. Mais c'est peut-être ça finalement, personne ne pourra saisir ce que transportera le film avant de le voir, tu veux des réponses, tu ne veux pas d'ambiguité, tu veux comprendre l'incompréhensible, tu veux donner du sens à l'absurde, et c'est par cette recherche que la réponse éclate au grand jour, que le génie extraordinaire de ton oeuvre se montre, car tu arrives à représenter l'absurde, l'incompréhensible, car tu es plongé dedans.
"...Lost in a Roman...wilderness of pain...
....And all the children are insane....
......All the children are insane.....
...Waiting for the summer rain, yeah...."
Brando arrive sur le tournage obèse et sans rien savoir de son personnage. Tu devrais tourner, profiter du peu de temps, mais non, tu passes tes journées avec lui, à dessiner les traits de Kurtz. Tu veux comprendre ce qui l'a poussé "trop" loin, ce qui s'est déchiré en lui. Mais tu ne connais toujours pas la fin de ton histoire. Qu'importe, tu fais improviser Brando en attendant, tu filmes son crâne nu luisant, l'eau y coulant et sa main le frottant. Sa prestance, son mythe devraient révéler l'intime et intense combat que se livre Kurtz.
Kurtz ce poète guerrier, Kurtz ce doux dictateur sanguinaire, tant de paradoxes, d'étrangetés. Et puis, finalement Kurtz c'est Willard, Willard est passé Kurtz, il sombre, ne refait surface que pour prendre la place du roi. Non, Kurtz, c'est toi Francis, le dictateur/metteur-en-scène, tu t'en rends compte, tu te rend compte que Kurtz était un homme, un homme affecté qui s'est laissé emporter par la sauvagerie. Kurtz représente la face d'un mal, face d'un pays se prenant pour dieu et voyant le Vietnam comme un immense terrain d'essai.
Tu sais alors. Tu dois montrer la face de l'horreur, comprendre ses rouages pour mieux les condamner, car au-delà du bien et du mal, il y a la sauvagerie sans passion, l'incompréhension, le déraisonnement le plus absurde.
"...This is the end...
Beautiful friend.......
.....This is the end...
...My only friend... The end...
...It hurts to set you free...
...But you'll never follow me...
...The end of laughter and soft lies...
...The end of nights we tried to die...
......... This is the end ........."
Toute la presse s'empare de ton film, de ses retards. Il te prennent pour un illuminé irraisonnable. Mais toi, tu ne lâche pas, tu travailles le montage deux ans et demi durant, 500 000 mètres de pellicule et l'extraordinaire Walter Murch à ta disposition. Ce dernier menace d'y foutre le feu, tout le monde aura eu sa crise durant la prod' du film, faut croire..
Mai 79, tu présente le film à Cannes dans sa version "work in progress", aucune image n'est délivrée à la presse, rien ne peut ternir le mystère, l'aura qui entoure si bien le film.
Palme d'or. Classique. Le film est acclamé, passe mythe. Mais le travail n'est pas terminé. Il ne l'est jamais, surtout quand il s'agit de toucher du doigt ce qui ressemble au fond d'un gouffre sans fond. Mais toi, Francis Ford Coppola, prodige parmi les prodiges, avec l'aide des plus grands, tu l'aura effleuré.

>>>> https://www.youtube.com/watch?v=vrYvcFDNmBM <<<<
>>>> http://www.youtube.com/watch?v=Qq_TiviCfo8 <<<<
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le 22 févr. 2014

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Aronnax

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