Ars
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Ars

Court-métrage de Jacques Demy (1959)

Avant les longs-métrages haut en couleur des années 1960 (Parapluies de Cherbourg, Model Shop, Demoiselles de Rochefort), Jacques Demy met au point plusieurs courts pendant les années 1950. Sixième et dernier de cette préhistoire d'un cinéaste, Ars en est le plus beau morceau. Comme Le Sabotier du Val de Loire, c'est un documentaire commenté (par le réalisateur). Cette fois Demy ne se raccroche plus à des souvenirs personnels (il a passé un an chez ce sabotier et sa femme) mais honore une commande à propos du curé d'Ars, Jean-Marie Vianney, vénéré par l’Église catholique.


Néanmoins ce cas éloigné des mondes de Demy le fascine à cause de son absolutisme. Le cinéaste se plonge sans réserve dans la perspective de son sujet ; après le spleen narcissique des Horizons morts puis la compassion pour la victime du Bel Indifférent, il se laisse gagner par la fièvre sainte du curé d'Ars. Passé la présentation rigoureuse et les données générales, Demy vise le cœur des turpitudes morales de Vianney pour représenter sa vie. À sa genèse, c'est l'histoire d'un curé envoyé dans une ville de l'Ain pour faire pénitence : il accepte son sort et s'engage dans sa mission au-delà de la raison, des attentes ou des règlements.


Résolument humble, il se dépouille au maximum et se donne complètement à la lumière de Dieu. Son ascétisme ne serait qu'un gris-gris, il lui faut s'humilier devant le Seigneur, se refuser toute vanité. Cette apparente aliénation est la voie vers la libération. Dans une certaine mesure, c'est la transfiguration des serviteurs de Dieu. Le chemin coûte toutes les récompenses et tous les plaisirs de la vie courante, mais dégage l'horizon pour accéder à un contentement sans fin. Les privations terrestres sortent alors de la conscience, comme les coutumes d'un animal lui deviendraient étrangères s'il se transformait en homme.


Le plus pénible et douloureux ce sont les moments de doute et d'égarements, l'impatience ou les bouffées d'orgueil du prêcheur. Demy met en avant la 'dérive' répressive du prêtre avec vigilance. Comme mentionné, il ne contraint personne ; mais on vient à l'église pour être blâmé, sommé de refuser les tentations qui paraissaient les plus innocentes. Ces petits chrétiens sont là simplement par habitude, tradition ; la violence de Vianney les excède. Il devient une cible injustement lésée, mal comprise, si peu entendue ; il l'accepte non comme la rançon d'une gloire, mais car c'est une nécessité pour ses ouailles dissipées. En même temps il le refuse car il y a plus fort que son honneur et que leur confort en jeu. À un moment il manque de fuir et réalise sa faute. Son amour-propre en est accablé, pourtant il est aussitôt transcendé par une croissance dans sa révélation. L'emphase prend des proportions épileptiques.


Au départ le film est d'un abord aride, malgré le message d'amour et l'élan déclaré joyeux vers la grâce ; progressivement cette dernière inonde tous ces lieux austères et froids. Les vertus esthétiques du Sabotier aussi ont germées. Demy a une façon remarquable d'investir les routes de campagne, les endroits publics ou secrets de la ruralité : des horizons d'une placidité effrayante et sublime. La séance a des allures dostoievskiennes. La transe morale de Vianney renvoie également aux exaltations d'Artaud, sans pousser à se compromettre et s'abîmer : le curé d'Ars est certes passé par la mortification mais il a manifesté sa volonté l'a poussé à l'épure, la souffrance n'était pas une fin ou une addiction. Demy rend un hommage fasciné à cette puissance de la foi, peut-être en se dépersonnalisant pour apprécier cette force (prosélyte, non égoïste). Le parcours du curé d'Ars est également le cœur du Sorcier du ciel de Marcel Blistène (Étoile sans lumière avec Piaf), biographie sortie en 1948.


https://zogarok.wordpress.com/2016/03/05/quelques-courts-de-demy/

Zogarok

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