Dans l’œuvre des Coen, cet opus sera un petit avec des séquences de grand (comme celle des consultants pour le (soit-disant) premier film avec Jésus [vingt ans avant Jésus-Christ superstar – 1973]), des intuitions réjouissantes et une aura flanchée. Les frères suivent Eddie Mannix (personnage qui a réellement existé), un 'fixeur' à Hollywood pendant une poignée d'heures particulièrement chargées. C'est l'occasion de rendre un hommage sarcastique au milieu du cinéma (déjà chargé dans Barton Fink – film sur l'enfer d'un créateur) et à ses fétiches, en ridiculisant la mentalité dominante et les comportements capricieux. Ici 'l'âge d'or hollywoodien' (années 1940-1950) tend vers sa fin. Les Coen en font une présentation politisée, montrant des antagonismes en train de se creuser et des acteurs trouvant des moyens d'opposition, puis surtout l'entrisme communiste (c'est la préhistoire du maccarthysme). Les shows codifiés se poursuivent, avec toujours l'allant de l'état de grâce ; le charme opère toujours, bien que des détails humains commencent à rouiller.


Néanmoins la démarche n'est pas 'engagée', sinon pour railler l'emprise des marxistes doctrinaires sur les candides attardés, ou le sens trivial de l'intérêt que les catégories montantes ou lésées partagent avec leurs maîtres (ou commanditaires/producteurs). Les Coen sont plus soucieux de montrer le vice chez les abrutis qu'ils agitent sans compassion, mais toujours avec une tendresse pour leur costume ou leurs caractères ubuesques. La vanité des personnages (à propos du statut, de l'intelligence ou du prestige ; celle concernant le physique est dépassée, trop banale et acquise sans doute) est constamment mise en exergue. L'humour est nourri par des débats ou laïus argumentatifs d'ordre théologique, politique ou 'business'. Plusieurs séquences s'attardent pour souligner la stupidité d'un type sur la base d'un élément unique (le défaut de prononciation d'un acteur par exemple). Mais les vertus de la machine sont là aussi (il n'y a bien de beautés qu'à la surface ou dans les représentations à Hollywood). Les séquences de tournages de films typiques de 'l'usine à rêves' s'accumulent : comédies musicales, péplums, également films d'acrobates, magiciens, ou à 'grands' sentiments. Et au milieu Scarlett Johansson en reine du ballet aquatique, grossière et plombante sous le vernis glamour et docile.


L'intrigue autour de Clooney et son enlèvement occupe le centre et sera la seule ligne de référence et la seule à progresser et engendrer significativement (le suivi de la chroniqueuse mondaine -Tilda Swinton- se greffe sur cette affaire). Le gros casting est donc consumé avec gourmandise (prestations voyantes, numéros chantés ou mutiques en phase avec les vieux mythes, les vieilles images) mais peu de volonté ; chacun a ses deux-trois séquences, seul le tandem de champions rincés (Clooney/Brolin) dépasse ce quota. Les deux personnages sont sous-exploités (la foi dévorante de Brolin épice comme un gadget décalé, sans plus ; Clooney est un benêt fanfaron avec un côté Bush Junior, sa mise en crise est sans effets, n'amène aucune tension ni révélation), les autres font de jolies apparitions et 'font le job', modeste au final. Par conséquent cette balade dans les coulisses vire à l'enfilage un peu creux, dont la fibre 'poil à gratter' vire à la gloriole gentille-amère. Ludique, peu subtil, généreux, Ave Cesar (titre pris à Hail Caesar, a history of Christ, le péplum en cours de fabrication avec Whitlock/Clooney) est ambitieux mais décousu. La tendance des Coen au flottement atteint son paroxysme, ce qui n'empêche pas de livrer des morceaux jubilatoires et un ensemble de qualité.


https://zogarok.wordpress.com/2016/08/25/ave-cesar-coen/

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le 24 août 2016

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