Ah ! Redmond... Ce film nous amène à "la grande question cinématographique" : comment un personnage, si bien vêtu, filmé avec tant d'art, de science et de goût, dans des décors naturels si somptueux, dans des intérieurs aux éclairages si raffinés, si mesurés, si limpides, si parfaitement beaux, joué par un acteur si talentueux entouré de seconds rôles si sublimes (Marisa Berenson, excusez du peu) et auréolé d'une bande originale si vibrante et si majestueuse, peut-il à ce point être antipathique ?

C'est le grand mystère de la création. Kubrick, à mon sens, donne à voir une peinture vivante. Une peinture en perspective, comme saisie derrière une vitre. Comme si, tout au long du film, on sentait la lentille de la caméra, qui nous isole du monde de Barry Lyndon, qui délimite un contour parfait et abstrait, en-dehors duquel il n'y a rien, ou si peu qu'on ne peut qu'y être indifférent. Barry Lyndon, c'est un tableau de Gainsborough auquel on aurait ajouté le mouvement, c'est de la sorcellerie pure, de la nécromancie. Les petites figures de pigment s'animent lorsque le génial Stanley braque sur eux son œil de verre, mais en-dehors de ce rayon il n'y a qu'arbres morts et ruisseaux croupis.

Les caractères dépeints sont tellement ambigus qu'il est impossible de prendre le parti de l'un ou de l'autre. On ne tremble pas durant les duels, tant les destins qui s'y jouent nous paraissent étrangers et déjà écrits ; l'un tantôt nous amuse, nous apitoie, nous exalte, mais l'autre vient vite le ridiculiser et prendre sa place au premier plan. La dernière image du film, citation sèche comme une épitaphe, se dresse au-dessus d'eux comme la Faucheuse aux ailes déployées et nous fait frissonner d'épouvante.

D'innombrables légendes circulent sur ce film. Certaines sans doute sont vraies, d'autres relèvent de la fantaisie. Kubrick a-t-il réellement mobilisé son équipe pendant une semaine entière pour attendre la lumière adéquate au tournage de deux secondes et demi de chevauchée au pas ? Les lentilles de ses caméras ont-elles été réellement fabriquées par la NASA à sa demande ? Cette sorte d'anecdotes circule aussi sur les peintres et les mystères de leurs ateliers. Cela tend à confirmer que Kubrick a réussi son coup.
Anonymus
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le 2 déc. 2010

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Anonymus

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