Il paraît que Burton n'était pas très chaud pour faire ce nouvel opus. Il n'aurait accepté qu'à condition d'avoir carte blanche. Un type bien avisé de chez la Warner la lui a accordé et hop, l'histoire était en marche : une des meilleures adaptations de Batman allait naître de ce simple accord. "Ok fiston, joue-la comme tu le sens". C'est quand même bien rare, surtout sur une grosse licence, juteuse comme il faut. La même année, les américains avaient même pu voir débouler sur leurs écrans l'une des meilleures séries d'animation et cette dernière mettait elle aussi en avant le Caped Crusader. Autant dire que 1992 avait Batou à la bonne. Et pour Burton, eh ben... c'était aussi la bonne pente. Son univers commençait à être bien reconnu. Il a d'ailleurs traversé les âges : il apparaît sur tous les sacs des lycéens d'aujourd'hui (ou d'hier, mais tôt), à travers l'étrange noël de Monsieur Jack, film qu'il n'a même pas réalisé. On commençait presque à être un peu rassasié. Et pourtant, ici, le père Burton décidait de surprendre. Il allait faire quelque chose d'exceptionnel : il allait prendre un univers déjà existant et tenter d'y insérer le sien comme durant une nuit de noce, patiemment, mais avec beaucoup d'amour. Avec ce justicier tourmenté par un traumatisme d'enfant, ces méchants flirtant allègrement avec la folie, Batman était sans doute le plus à même d'accueillir les élucubrations du chevelu légèrement gotho sur les bords. Et bon sang que la mayonnaise allait bien prendre !


Le résultat... Ha, je le découvrais une nuit durant les vacances de 1992, alors que la nuit venait de tomber. La famille se rendait dans le petit cinéma du centre-ville (celui-là même où je bosse maintenant, la vie n'étant finalement qu'un cycle un peu brouillon !). Ça avait quelque chose de magique, aller voir un nouveau Batman, avec cette atmosphère de fin d'année, nocturne. Cet opus de Batman reprend quelques années après la fin du premier volet : Bruce Wayne est à nouveau célibataire, laissé seul par Vicki Vale. Depuis son manoir, il attend patiemment que la population de Gotham ait besoin de lui. Et ce n'est pas une sinécure : en ces fêtes de fin d'année, un nouveau et étrange vilain, le Pingouin fait du remue-ménage, avec son gang de clowns violents. Dans cette foire à l'empoigne, certains gardent quand même le nord : on pense par exemple à Max Shrek, très enthousiaste à l'idée de se faire énormément d'argent, un peu déçu que le Maire lui refuse le droit de construire son usine. L'arrivée de ce Pingouin change relativement la donne puisque Shrek pense tenir là son nouveau maire et décide de transformer le monstre en être humain, afin de lui offrir un visage publique. On ajoute à ça la présence de Catwoman, on secoue bien et normalement, on se retrouve avec un gros bordel qui va prendre fièrement de court la brave ville de Gotham, pourtant ensevelie sous la neige, un joli écrin pour une cité qui n'en finit plus d'être pourrie jusqu'à la moelle.

Première constatation : on est encore dans une histoire de monstres. Tant mieux, un bon vieux freak show à l'ancienne, avec son lot d'anomalies physiques qui entraînent la suspicion autant que le pathétique. Entre ce Pingouin délirant et renfrogné et cette ravissante Catwoman, le film fait la part belle aux humains transcendant leur condition. A la limite, au milieu de ce zoo, le Batman a presque des allures de mec normal. Faut avouer qu'en face, après avoir affronté le gang du Joker, le Cape Crusader se retrouve encore face à une tripotée d'hommes de main issus du cirque, qui ajoutent, à la violence, un charmant côté bariolé. J'adorais, personnellement, les motards à têtes de mort ! Cela dit, c'est plutôt logique, en un sens, ce capharnaüm : l'intrigue suit un chemin équivalent. Autant le dire sans ambages : c'est un sacré foutoir. Oh oui. On a trois personnages, Batman, Catwoman et Pingouin, tout trois forts, au caractère bien trempé, qui vont s'allier et se défaire, et ça va être le bronx. Le scénario est assez étrangement focalisé sur ce trio. Ce n'est pas pour rien que l'affiche ne montrait quasiment qu'eux : une fois les enjeux et les attentes de ces trois-là suffisamment explicités, l'intrigue s'arrête le temps de les observer un peu chavirer, hésiter et frapper. C'est assez surprenant, plutôt effarant, et ça donne même l'impression qu'on part un peu dans tous les sens et pourtant... Ben faut bien avouer que ça marche. Ce combat d'ego (qu'un confrère de SensCritique avait déjà relevé) est au centre du long-métrage et c'est sans doute ce qui passionne le plus Tim Burton, qui donne alors de superbes séquences, comme la rencontre à trois, dans les rues enneigées de Gotham.

Le mauvais côté de cette démarche, c'est l'impression que le personnage-titre, Batman quand même, n'est pas vraiment au centre des intentions. Il faut attendre un moment quand même avant de le voir et son apparition est assez anecdotique. Mieux : Bruce Wayne n'intervient lui aussi que bien tardivement, une fois que chaque personnage (Shrek, Pingouin et Selina Kyle) ait déjà fait leurs entrées. Il est traité en réalité comme un membre du trio de tête, plus que comme le protagoniste de son propre film. C'est surprenant, mais ça laisse de la place à cet autre personnage qui est incroyable : Catwoman. Le film aurait pu prendre son nom tant elle porte une bonne partie de l'intrigue sur ses épaules. Que se soit l'écriture ou la prestation de Michelle Pfeiffer - complètement possédée - c'est LE personnage à retenir de cet opus. Et qu'on se le dise, la romance avec Bruce Wayne/Batman n'envenime d'aucune sorte son importance. Au contraire, voir Batman s'enticher d'une jeune femme portant un poids équivalent au sien sur ses épaules et jouer à un véritable jeu de chat et de souris émotionnel, c'est encore plus puissant. Ca donne même lieu à l'une de mes scènes préférées, la réception chez Shrek, où Selina et Bruce sont les seuls à venir sans masque. Et si Catwoman reste mon personnage favori de ce volet, il ne faut tout de même pas rogner de son importance au Pingouin, digne successeur du Joker dans le rôle de la Némésis, excellent d’ambiguïté et interprété par un Danny deVito complètement fou. Impossible d'imaginer quelqu'un d'autre que lui pour entrer dans les gants à trois doigts d'Oswald Cobblepot. Si "Batman : le Défi" veut mettre l'accent sur ces trois personnages, il faut bien lui concéder qu'il s'en donne les moyens, avec trois acteurs qualifiés qui maîtrisent jusqu'au bout des nageoires/pattes/ailes leurs rôles. Du putain de bon spectacle.

Boom. On est face à un putain de chef-d'oeuvre comme on en fait plus, un de ces films que j'aime à regarder durant les fêtes de fin d'année, pour invoquer un peu de la magie qui m'avait saisi alors. Et puis, cette Catwoman, d'une intensité rare, que plus aucun comics ne parviendra à reproduire, m'est resté gravée dans la mémoire comme la démonstration d'un personnage féminin bien exploité. Tellement, en fait, qu'elle volait un poil la place du héros mais ça, hein, parlons-en à la pauvre Red Sonja et à son adaptation au ciné, ce n'était que justice ! Un Batman de haute-volée, donc, mélange improbable de l'univers de Burton et du batverse, qui parvient à magnifier les deux dans le plus dantesque des chaos.

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le 13 janv. 2015

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