Adapté d'un roman de Koushun Takami, Battle Royale est le film testament d'un réalisateur vénéré de son côté du monde, Kinji Fukasaku, décédé à l'âge de 73 ans durant la réalisation de la suite Battle Royale 2 : Requiem.


Nihiliste et ultra-violent, Battle Royale fait un état des lieux alarmiste et acerbe de la situation sociale de son pays (et ce même si le Japon n'est jamais clairement défini comme le pays où se déroule l'action) et dresse le constat déplorable d'une société qui partagée entre traditionalisme et modernité ne comprend plus sa jeunesse. Le fossé est ici devenu infranchissable entre les aînés et leurs jeunes naturellement épris de libertés et de révoltes. Une jeunesse gangrenée par la colère et la violence latente qui explose parfois soudainement et se répercute sur le corps enseignant. Face à la montée de cette délinquance, le gouvernement vote une loi extrémiste et improbable afin de brider la jeunesse et de lui inculquer le sens du devoir. Chaque année, une classe de lycéens est choisie au hasard et, sous couvert d'un voyage de fin d'année, est emmenée sur une île pour être contraint à se livrer à la plus cruelle et impitoyable des compétitions, le Battle Royale. Un seul mot d'ordre : survivre coûte que coûte même s'il faut tuer ses camarades pour cela et faire preuve de la plus impardonnable cruauté. Car à la fin il ne doit en rester qu'un, comme le disait en son temps un certain McLeod.


Une seule règle impitoyable qui ne fait aucune exception. Cruel jusqu'au bout, Fukasaku ne fait aucune concession et nous présente habilement chacun de ses protagonistes, que l'on imagine tous voués à une mort certaine. Et même si l'intrigue tourne rapidement à une succession de mises à morts systématiques, aucune ne sombre dans la facilité narrative. Au-delà de la gratuité de leur violence, chaque homicide embrasse pleinement le point de vue de ces personnages, parfois victimes, parfois bourreaux. Certes, les personnages sont pour la plupart de vulgaires stéréotypes et Fukasaku se permet même un certain manichéisme dans l'approche de deux de ses exécuteurs, lesquels personnifient tous les aspects hautement négatifs de l'individu social contemporain, à savoir l'arrivisme, l'égoïsme et l'individualisme. Mais pour autant, là où le personnage de Kazuo (le volontaire) ne semble être rien de moins que l'incarnation du mal, celui de Mitsuko appelle une certaine dose d'empathie de la part du spectateur qui, sans cautionner ses actes, arrive néanmoins à plaindre son personnage lors de sa lente mise à mort.


Des personnages positifs, le film en regorge et c'est bien leur nombre qui fait parfois tout le suspense du film tant il devient improbable que ces protagonistes fondamentalement bons puissent jouer le jeu du Battle Royale. Il faut ainsi voir la montée en puissance des émotions contradictoires lors de la scène du massacre dans le phare, une séquence dont la violence soudaine et absurde s'efface derrière une fatalité immuable où l'amitié n'est d'aucun secours.


Fukasaku s'intéresse moins aux personnages qu'à leur réaction face à l'adversité. Le Battle Royale symbolise une vision extrême de nos sociétés actuelles axées sur la réussite à tout prix. Chaque protagoniste porte en lui une réaction propre à être transposée dans la société réelle, à savoir l'arriviste qui écrasera tous ses concurrents, les amoureux qui ignorent leur environnement, le démissionnaire qui préfère se suicider plutôt que de se battre...


Ainsi chaque participant du Battle Royale est confronté à un choix et à un dilemme moral. Soit on joue le jeu guerrier de la vie soit on s'y refuse, et l'on se résigne au suicide ou l'on se réfugie dans l'illusion d'une échappatoire temporaire. Trahisons, coups bas, vengeance adolescente, Fukasaku passe par tous les état moraux de ses protagonistes aptes à justifier chaque attitude homicide. Au final, le réalisateur nous confronte ni plus ni moins qu'à une quarantaine de mises à mort réparties sur près de deux heures de métrage. Il offre au passage à Takeshi Kitano l'un de ses rôles les plus ambigus, étrange enseignant à mi chemin entre cruauté, ressentiment et condescendance, convaincu de l'utilité du Battle Royale mais tenté d'interférer en faveur d'une de ses élèves qu'il idéalise.


Battle Royale est donc un grand film d'anticipation dont le propos subversif principalement tourné vers son pays d'origine s'est pourtant exporté de par le monde (le film rencontrant un joli succès à l'international) avant de conquérir ses galons de film culte. Extrêmement violent, le long-métrage ne se vautre pourtant pas pleinement dans le nihilisme mais se conclut sur une touche optimiste du plus bel effet appelant une certaine continuité narrative via une séquelle qui ne fut pas à la hauteur de ce premier opus.


Ainsi, l'ultime péloche de Fukasaku s'impose près de quinze ans après sa sortie comme un vrai miracle cinématographique de par son approche et son sous-texte extrêmement déstabilisant. D'autant que la cruauté du traitement aura survécu aux grands ciseaux de dame censure jusqu'à s'exporter quasiment tel quel avec succès. Et ça, c'était vraiment pas gagné à l'époque, même au pays du Soleil levant.

Buddy_Noone
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le 5 janv. 2015

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Buddy_Noone

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