Le film s'ouvre sur un portrait accroché à un mur, où l'on voit une famille toute sourire, l'air complètement niais. La caméra zoome sur une fille, l'héroïne du film, révélant de plus en plus un visage contrit, les traits tordus par ce sourire si peu naturel qui creuse d'affreux fossés dans ses joues.
Rien qu'avec ce premier plan, c'est bon, le film m'a convaincu.
La tête de cette fille dit tout, ses lunettes, son look, ne font que confirmer. Les plans où l'on voit son casier barbouillés de messages méchants sont inutiles. On a compris que c'était la victime dont tout le monde se moque parce qu'elle n'est pas belle. En plus elle se la joue rapporteuse et intello.
La pauvre actrice, aussi. Quand l'héroïne, Dawn, est fâchée et fait la tête (c'est le cas de le dire), voir son expression est hilarant. En plus on a cette musique qui fait genre "rebelle", en contrepoint de ce qu'on a à l'image, la fille n'étant pas du tout crédible.
Même quand on devrait être du côté du personnage, lorsqu'elle ne peut pas dormir car elle pense à un garçon, un air fasciné sur son visage, bouche bée, elle rend forcément un air niais, ridicule. La pauvre.
On connaît tous cette fille, c'est celle qui n'a rien pour elle, qui ne se défend même pas, dont même les losers de l'école se moquent. Et dans Welcome to the dollhouse, c'est elle le personnage principal, celle que Todd Solondz a choisi de suivre pendant tout un film.
Ainsi, il traite de la cruauté dont sont capables des enfants.
Dans les 5 premières minutes du film, on voit un gamin prendre la place de Dawn à la cantine, on voit une fille bizarre essayer de la dégoûter, et un groupe de pestes lui demander si elle est lesbienne. J'étais déjà hilare, mais juste après intervient cette scène où Dawn défend un nerd qui se fait taper. Une fois relâché, il lui dit "leave me alone, wiener-dog".
5 minutes seulement se sont écoulées, mais j'étais déjà conquis.

Dawn. Comme Dawn Davenport ? Moi c'est à ça que ça me fait penser, ce rôle de Divine dans un des films de John Waters. Le nom de famille de Dawn c'est Wiener ; là les choses sont claires. En tout cas, elle n'a rien pour elle.
On se fait déjà une idée de qui elle est rien qu'en la voyant, mais il y a cette scène où elle dénonce quelqu'un qui copie sur elle, comme une gamine, ce qui pour moi décrit très bien le personnage, et confirme ce qu'on s'imaginait déjà d'elle.
Aigrie, délaissée, elle se venge sur sa petite sœur, qu'ironiquement elle traite de "lesbo" quelques scènes après que ça ait été le cas pour elle. Ce qui est super, c'est que Solondz fait sous-entendre que les personnages, même ceux adultes et donc plus matures, en opposition à ces sottes qui se moquaient de Dawn, conçoivent l'homosexualité comme une insulte, quand la mère demande à Dawn de s'excuser pour ça.
Il fait ressortir une absurdité superbe des parents aussi quand la mère oblige Dawn à rester à table tant qu'elle n'a pas dit à sa sœur qu'elle l'aime.
La cruauté de Solondz avec ses personnages est géniale. Il fait que Dawn, se doutant de rien, nomme son club "The special people club".
En tant que créateur, il les modèle et crée les situations du mieux que possible pour se moquer d'eux, et c'est tellement plaisant pour le public qui seul peut s'en rendre compte.
Il ne permet rien de bien à son personnage de Dawn, il ne lui accorde à aucun moment un peu de cette dignité à propos de laquelle elle a fait une rédaction. Elle s'en prend plein la gueule, à son insu ou non, par les autres élèves ou la force des choses, ou plutôt ce créateur détraqué qu'est Solondz, et quand elle essaye de répliquer, ça lui retombe dessus ("who told you to fight back ?", se fâche sa mère).
Et au lieu de lui accorder quoi que ce soit, Solondz l'expose dans les situations les plus ridicules. ("have you seen my fingers ?" ; et devant le miroir)
Même dans la mise en scène, Solondz fait preuve d'une ironie fabuleuse : Dawn lit sa rédaction complètement ridicule sur les "grade rubbers", et on enchaîne sur un plan d'une foule qui applaudit... provenant de la séquence d'après. Quel sacré connard avec ses persos, ce Todd :)

A part ça, la mise en scène de Solondz n'a rien de bien particulier, elle ne se démarque pas en bien, mais pas en mal non plus. Le seul défaut que je puisse reprocher, mais ça relève du problème de tournage, c'est un plan assez long vers la fin du film qui n'arrête pas de trembler, c'est très étrange.
Sinon, ce qu'on peut voir dans la participation du réalisateur malgré tout, c'est qu'il dispose des fois quelques éléments dans son film, qui relève du détail pour certains, mais qui sont de bons apports à la caractérisation des personnages. Concernant la prof par exemple, certes on comprend déjà qu'elle est méchante et injuste, mais le "redo the exercises" inscrit sur le tableau derrière elle à un moment souligne l'absurdité chez cette femme trop sévère, mais avec subtilité.
Me suis amusé en repérant au hasard quelques détails comme ça, comme lorsqu'en coin d'image, quand la prof prend la parole durant un exam, on voit une élève prend dans ses mains la copie d'un autre pour la lire sans même chercher à se cacher. Ca me fait marrer, rien que le fait que Solondz mette en scène, sans trop le faire remarquer, cet élément des contrôles scolaires.

On peut dire que Solondz a bien pensé à tout, et a bien rempli son film. Contrairement à Happiness où j'ai souvent ressenti de l'ennui, dans Welcome to the dollhouse, il n'y a jamais de quoi s'ennuyer. On enchaîne, on passe tout le temps d'une situation intéressante et originale à une autre. C'est régulièrement incongru, mais pratiquement toujours drôle en même temps que cruel envers divers personnages (dans le genre "spécial" et inattendu, la scène où Dawn est obligée d'aller chier est géniale).
C'est aussi bourré de répliques énormes. Je vais citer celle assez bien pensée que Nhoj, un de mes éclaireurs, a aimé : "just because you're a faggot doesn't mean that you're an asshole". C'est pas faux. C'est pas faux...
Vers les 2/3 du film cependant, en partant d'une situation qu'on perçoit au départ comme comique, quand un garçon dit spontanément à Dawn qu'à 15h il va la violer, mais bientôt ça devient grave. Et après ça, ça en devient même triste. Le passage entre chaque état est plutôt réussi et bien amené.
Je regrette quand même que vers la fin, le film vire beaucoup plus dans le registre dramatique.
On commence à plaindre Dawn, à cause de son amourette pour un gars qui ne la regarde même pas, et pleins de drames surviennent. En même temps, il fallait bien que le film se termine d'une certaine façon, et il ne pouvait pas se contenter tout du long du même schéma que celui du début.

J'ai quand même adoré Welcome to the dollhouse. J'ai éclaté de rire très souvent, j'ai été bluffé par la capacité de Solondz à renouveler ses idées pour se moquer de façon hilarante de ses protagonistes, j'ai adore sa cruauté, son ironie, et son esprit corrosif. En plus il y a des musiques et chansons drôlement bien.
Et il ne faut pas oublier le mérite de l'actrice principale, Heather Matarazzo, qui n'a pas un rôle facile, mais le remplit très bien.
Je ne pense pas trouver un autre film de Solondz que j'apprécierai autant, mais j'essayerai très certainement Palindromes, Dark horse et Storytelling.
Fry3000
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le 14 avr. 2012

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