Ancien vendeur itinérant, Edward Bloom s'est toujours plu à raconter sa vie à ses proches par le prisme du merveilleux. Exagérant les faits, Bloom a fini par lasser son fils, Will, qui ne voit plus en son père qu'un menteur pathologique et exubérant. Brouillés, ils ne se sont pas revus depuis trois ans, période durant laquelle Will s'est installé en France et a trouvé l'amour de sa vie. Mais lorsqu'il apprend que son père est atteint d'un cancer, il décide de revenir auprès de ses parents accompagné de sa femme. C'est durant le voyage en avion qu'il commence à se remémorer le passé exaltant de son père tel que ce dernier le lui a toujours raconté.

Sorti en 2003, "Big fish" est un film charnière dans la filmographie de Tim Burton et ce sur plusieurs points. D'abord le sujet le touche personnellement, lui qui a perdu son père en 2000 et sa mère en 2002, peu de temps après le début des prises. Ensuite c'est l'occasion pour lui de revenir au thème du merveilleux tout en livrant une habile réflexion sur la réalité et la naissance des mythes. Enfin c'est une manière pour Burton de faire amende honorable, lui qui s'est coupé d'une partie de ses fans avec son décevant remake de La planète des singes.

Adapté par John August (lequel entame là une trop longue collaboration avec le réalisateur) d'après un recueil de nouvelles de Daniel Wallace, le récit, non linéaire dans son déroulement, expose à la fois la relation conflictuelle entre Will et son père et la jeunesse aventureuse de ce dernier tel qu'il la toujours raconté. L'ensemble du métrage repose ainsi sur cet équilibre délicat entre aventures fantaisistes et drame intimiste. La frontière entre réalité et fiction n'aura jamais été aussi ténue et Burton alterne avec maestria humour, fantastique et émotions.

Ainsi, le jeune et malicieux Bloom rencontre-il toute sorte de créatures au cours de son périple vers l'inconnu. L'occasion de rire aux détours de plusieurs scènes désopilantes où Burton manie l'humour avec un savoir-faire indéniable (la scène du parachutage ou la rencontre d'Edward avec le géant). Au bout de cette trajectoire héroïque, véritable odyssée Burtonienne convoquant autant d'éléments de la mythologie que du Southern Gothic, Edward se réalise pleinement en trouvant le sens de sa vie au travers d'une jeune femme dont il tombe follement amoureux. Ses douze travaux dans le cirque du lycanthrope Danny de Vito ou encore le passage de la sirène/Dame du lac (c'est selon les goûts) sont des séquences qui témoignent des ponts qui relie le récit à ses prestigieuses références.

Face à toute cette fantaisie surréaliste, Burton confronte le point de vue pragmatique de Will, point de vue auquel nous serons tous obligés de nous identifier, nous qui nous enlisons dans un quotidien sans reliefs où le temps du rêve n'est plus qu'un luxe. Will, blasé par toutes ces histoires que son père n'a jamais cessé de raconter, s'est totalement fermé au merveilleux . C'est dans un quotidien morne et pluvieux qu'il évolue loin des champs ensoleillés et des ballades bucoliques vécues par le jeune Edward dans ses récits. Au bout du compte (ou du conte), Will réalise qu'il ne sait rien de son père et ne souhaite qu'en savoir plus sur le véritable passé d'Edward. Il se rendra compte plus tard que ce dernier n'a finalement fait qu'enjoliver sa vie.

A travers ce travestissement d'une réalité peut-être trop banale, Edward Bloom se prête les oripeaux d'un personnage héroïque (dans le sens monomythique décrit par Campbell dans son célèbre essai "Le héros aux mille visages"), courageux, idéaliste, romantique et un rien ambitieux. Ewan Mc Gregor prête son sempiternel sourire charmeur et niaiseux au jeune Bloom, quand Albert Finney apporte la justesse de jeu nécessaire au vieil homme qui se rend compte qu'il a perdu l'estime de son fils mais qui persiste cependant à ne jamais se raconter autrement que par les territoires du merveilleux.

Les deux récits finissent par aboutir à cette séquence émouvante où lors des derniers instants de son père, Will lui raconte par le biais du conte comment Edward doit quitter ce monde. Burton juxtapose alors les funérailles fantasmées d'Edward en forme de baptème et de renaissance, avec les funérailles réelles où Will s'étonne d'y entrevoir des personnages qu'il ne croyait appartenir qu'aux récits de son père et qui n'ont finalement que très peu de différence avec les personnages fantastiques décrits par Edward (les soeurs siamoises ne sont en réalité que des jumelles, le géant est un homme de grande taille).
Et le gros poisson du titre en plus d'être un joli clin d'oeil au "Vieil homme et la mer" est au final une belle allégorie de la légende qui s'affranchit de toute réalité, celui dont les histoires continuent d'être racontées après sa mort, est destiné à vivre aussi longtemps qu'elles lui survivront.

"Big fish" est en somme un très beau conte pour petits et grands où Burton renoue avec la magie et l'onirisme de ses débuts. Formellement sublime, moins tourné vers le gothique que la réputation du cinéaste mais un rien consensuel dans son approche, le film reste toutefois en-deça de la puissance narrative et visuelle de ses chefs d'oeuvre de jeunesse.
Burton signait là une de ses dernières réussites avant de s'enliser peu à peu dans un cinéma plus mercantile et sans aucun propos. L'esthétique singulière à l'artiste aura contribué à sa reconnaissance. Aujourd'hui, au vu de son Alice et de Dark shadows, ce n'est plus qu'une marque de fabrique censé cacher la vacuité de ses récits. De là à considérer Big fish comme un tournant, il n'y a qu'un coup de nageoire.

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le 23 mai 2014

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Buddy_Noone

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