Tu y allais cœur vaillant, cœur battant et souffle court, empressé, avec la promesse d’un bouleversement cinématographique aussi concret qu’une boule de feu dans le ciel ou de méduses échouées sur une plage. En dix minutes chrono, tes illusions s’écroulent. Te voilà qui déchante, tu hyperventiles. Iñárritu ne te laisse d’ailleurs aucune chance, il te sape, le bougre, il t’empêche de respirer, et son Birdman est une coquille vide qui n’appelle à aucun dithyrambe, aucune louange trop prononcée : Birdman, ou l’effrayante grandeur de l’amertume. Tourbillons de caméra virevoltante, d’effets ostensibles, de blabla ininterrompu et de vacuité en verve.


Et de ces tourbillons-là, sans cesse, aurait-il pu y avoir une émotion qui te submerge au moins, quelqu’un qui te touche à un moment, un espoir peut-être ? Non, non et non, et pas même ce Riggan Thomson, comédien égaré dans la bouillie d’une réalité consumée par la fiction, hanté encore par son rôle de super-héros de jadis, double maléfique qui vient lui pourrir la vie, homme-oiseau à la voix éraillée qui piaille dans son dos et résonne dans sa tête. Son histoire à lui, tu finis par la trouver petite, par la trouver ridicule. Banale oui, comme la tienne, comme les nôtres. La sienne donc, celle d’un acteur sur le retour aux prises avec les affres de son métier, de sa fille sortie de désintox, d’acteurs mabouls, de critiques revêches et puis des femmes aussi…


Et puis qui cherche la rédemption (artistique) en adaptant une nouvelle de Raymond Carver sur les planches de Broadway. La rédemption jusqu’à vouloir mourir sur scène (jusqu’où le réel y a-t-il sa place ?), comme Dalida, le con. Dans Birdman, tout n’est qu’émois professionnels, remous paternalistes, incertitudes sentimentales et tout le bazar. Et pour deviser de ce fatras existentiel aussi excitant qu’une merde de pigeon sur un trottoir, Iñárritu décide de filmer ça en faux plan séquence de deux heures. Pourquoi ? Parce que. Concept, tu vois, et esbroufe garantie. On se pâme dans les festivals, on défaille sur Twitter, on jase ici et là, mais sans s’émouvoir de l’arnaque. Admire mon plan séquence bitch, je te dirai quoi écrire.


Admirer oui, mais ne rien ressentir, ne pas s’interroger, ne pas vibrer et ne pas remettre en question le fond, truffé de truismes. C’est que le regard parvient rarement, par la caméra (comme la caméra), à se poser le temps qu’il faut pour étoffer les personnages et établir avec eux un lien, une empathie violente. Être avec eux, les sentir, les endurer, vouloir les prendre dans tes bras… En l’état, ce ne sont que des marionnettes vociférantes et gesticulantes dans le petit théâtre préfabriqué, labyrinthique, d’Iñárritu qui cherche à discourir sur le destin et la célébrité, sur l’art et l’amour avec la finesse d’un tractopelle et la prétention d’un arracheur de dents.


L'imbrication des temporalités, des réels et des points de vue, ce cadre qui bouge et qui tournoie, n’amènent rien de substantiel au récit, au contraire, sinon singer ce flux ininterrompu propre à l’exercice théâtral et cette soi-disant proximité avec l’effervescence de la vie, chienne de vie. Birdman en fait, c’est du Lelouch en mode hype. Iñárritu, c’est du Paul Thomas Anderson en mode low. Pour donner de quoi sustenter sa caméra véloce et tenir deux heures avec une intrigue rudimentaire (mon ego souffre, ma fille fume des pétards, mon ex me fait la morale, mon agent me fait les gros yeux…), Iñárritu meuble comme il peut.


Il charge, il entasse : un baiser lesbien, une sortie en slip sur Times Square, un peu d’action délirante, beaucoup d’inconsistance… Au passage, il en profite pour gentiment dézinguer le monde du showbiz avec name dropping à la clé et charge éculée contre les méchants critiques (avec Flaubert en caution imputrescible : "On fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’art". Tiens, prends ça dans ta gueule, saloperie de blogueur), la vanité des acteurs ("Je veux être aimé, je veux être aimé, je veux être aimé…"), les films hollywoodiens sans âme et ces spectateurs moutons tolérant la médiocrité sans sourciller. Du subtil quoi. De la porte ouverte.


Alors pour passer le temps, tu rêves à des mojitos sur un transat et puis tu couines (ton fauteuil, qui faisait un bruit d’enfer au moindre de tes mouvements). Tu décèles les raccords (assez visibles) du supposé plan séquence qu’est le film en entier, et puisque Gaspar Noé et Alfred Hitchcock l’on fait avant lui (et Brian De Palma au début de Snake eyes), et puisqu’Alexandre Sokourov, lui, l’a fait aussi sans aucun trucage (L’arche russe), tu finis par ne plus trouver ça amusant. Tu finis par trouver ça harassant, surfait et laborieux, limitant les enjeux et les réflexions, déjà maigres, à de simples clichés accessoires, à une excuse pour fanfaronner avec une steadicam.


Pour passer le temps, tu te régales de la batterie syncopée d’Antonio Sanchez qui évoque les accords saccagés de Jon Brion et Jonny Greenwood chez PTA, encore lui. Plus que tout, tu admires la magnificence des éclairages d’Emmanuel Lubezki (rappelant celle de Benoît Debie dans Enter the void ou Larry Smith dans Eyes wide shut) et leur incroyable richesse dans les couleurs, dans les nuances et dans les contrastes. Birdman prend chair grâce à lui, palpite soudain d’un plaisir premier que les acteurs, pourtant investis, peinent à transmettre, trop préoccupés à réciter leurs dialogues à la seconde et à la marque près pour ne surtout pas gêner ni retarder le timing implacable de la caméra. Le miracle à la fin, ce n’est pas Riggan transfiguré et voletant, et son âme qui s’élève sous les yeux de sa fille, grands ouverts dans un sourire ; le miracle, c’est Lubezki.

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le 6 févr. 2015

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