Les premiers films d'Aronofski se caractérisent par une grandiloquence indigeste ainsi qu'une certaine candeur juvénile. Requiem for a Dream est ainsi emblématique d'un cinéma passionné et peu nuancé. La force de la mise en scène est atténuée par une approche un peu simpliste du scénario qui n'est, en définitive, qu'un outil pour montrer au spectateur toute la fougue dont est capable de faire preuve Darren Aronofski.
Avec The Wrestler, notre prodige signai le film de la maturité. Une approche plus réaliste et une focalisation sur l'intime. Toujours ses accents passionnés et cette approche désespérée. Ici, la débauche d'effets visuels a disparu, comme si le réalisateur voulait exorciser ses démons et montrer qu'il pouvait s'affranchir d'un style parfois méprisé.
Avec Black Swan, Aronofski semble avoir terminé sa transformation. Il a digéré sa nouvelle approche et s'est réconcilié avec son goût pour la démesure. Son attrait pour le grandiose affleure plus que jamais. Mais cette fois-ci, c'est maîtrisé. Ainsi, il parvient à dresser un portrait d'adolescente convaincant et sensible. Il construit un personnage central qui saura mettre en valeur la force de son histoire. Rendons à César, Natalie Portman incarne à merveille cette beauté froide, ce caractère frustré prêt à exploser. Les seconds rôles ne sont pas en reste. Parmi ceux-ci, Vincent Cassel hérite d'un rôle formidable auquel il donne vie avec prestance et juste ce qu'il faut d'excès.
Les choix esthétiques sont tous bons. Les plans rapprochés et le grain de l'image participent à une ambiance personnelle et réaliste qui ne fera qu'amplifier le sentiment cauchemardesque de la transformation de l'héroïne. La musique est bien dosée, les plans sont superbes, c'est que du tout bon. Les effets sonores empruntent franchement au cinéma fantastique le plus populaire et font la nique aux cinéphiles trop finauds.
D'ailleurs, je ne peux que saluer le retour du fantastique. Maîtrisé de bout en bout, angoissant, onirique, dégoûtant. Une approche du genre englobante qui utilise le genre comme une porte vers la psyché des personnages. Le film de genre comme outil de description d'un réel insaisissable. L'imaginaire, les fantasmes, la paranoïa comme autant de fenêtres sur l'âme. Un film aux multiples niveaux de lectures mais d'une harmonie exemplaire.
J'ai été bouleversé par la justesse du scénario qui construit l'intimité du personnage principal à travers sa relation aux autres. Ou comment décrire l'univers intérieur de quelqu'un à travers son cercle social. Les personnages qui peuvent nous apparaître sombre, à l'image de Cassel, se révèlent comme autant d'alliés et plus profondément comme l'incarnation des désirs de l'héroïne. Au fur et à mesure du film, ils vont jusqu'à perdre leur indépendance pour ne plus exister que comme incarnations des désirs et des angoisses de notre danseuse.
Paradoxalement, dans son parcours auto-destructeur, c'est en fait vers la vie qu'elle se dirige. Et ça, c'est magnifique. Beaucoup ont dit que Black Swan avait le culot de récupérer la Lac des Cygnes sans rien y ajouter mais il n'y a rien de plus faux. Le cygne noir devient blanc, les rôles sont renversés. L'histoire est devenue moderne au fil de la pellicule. Le cygne noir est une femme libérée à la vie intense et pleine là où le cygne blanc n'est que l'image de la femme renfermée, vide, frustrée sentimentale et sexuelle. La transformation est douloureuse mais indispensable et salutaire. Puissant.
Au final, Aronofski livre un drame fantastique, poignant et impressionnant. Le traitement de la paranoïa et de la schizophrénie rappelle les meilleures morceaux de Polanski et notre réalisateur branchouille signe son premier chef d'œuvre. Film virtuose qui le propulse dans le panthéon des tout grands cinéastes.
Chapeau bas Mr. Aronofski, je ne vous croyais pas capable de ça.
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