Darren Aronofsky n'est pas un bon cinéaste. Si Pi transcendait aisément la forme du film de fin d'études pour dévoiler une certaine aisance dans l'art de la narration, son film suivant, Requiem for a Dream attestait d'une vision du monde on-ne-peut-plus limitée, le tout enrobé par des effets de styles clinquants/bling-bling visant à camoufler l'état de fait précédemment énoncé. Le forfait fut suivi d'un second forfait, The Fountain, film d'amour/blockbuster transformé via la réticence de quelques producteurs, dotés d'une lucidité qui fut tout à leur honneur, en film d'amour/malade doublé de film d'amour/anecdotique/ésotérico-barbant. Face à cet échec qui aura quand même bouffé quelques "précieuses" années de sa vie, Darren Aronofsky entreprendra une profonde refonte de son esthétique, plus à même de faire bander à la fois les festivaliers de Sundance et l'Académie. Ce qui donnera The Wrestler, bel effort vain, peinture de l'amérique des trailers et autres rednecks visant à faire de Mickey Rourke un Christ naturaliste. Ca passe par beaucoup de steady-cam, de plan-sequences, de gros plans sur la peau meurtrie, ce genre de choses. Et c'est donc ce genre de choses qui nous intéresse aujourd'hui étant donné qu'Aronofsky semble désormais appeler cette forme de ses voeux, et choisit de donner à Black Swan une forme on ne peut plus similaire, quitte à produire une variation sur le corps en souffrance de son précédent effort.
Première constatation, évidente et fondamentale : on ne s'ennuie pas. Le film est intense, dense. Deuxième constatation : Aronofksy a semble-t-il prit conscience de ses faiblesses. Le film repose entièrement sur la musique de Tchaïkovski (grand classique du cache-misère cinématographique, le Lac des Cygnes ferait aisément passer un film de Danny Boyle pour un chef-d'oeuvre) et sur son interprète principale. On échappe pas aux scories de l'ami Darren, cette manie du Steady perpétuel, par exemple. Mais finalement, bien peu de choses à reprocher, tant le film est compact, homogène et qu'il se laisse vraiment très agréablement suivre.
Cette plongé dans la psyché ravagée d'une fille à maman ambitieuse, quasi-vierge et poussée dans ses plus obscurs retranchements par son maitre de danse (l'immonde Vincent Cassel) trouve bien sur un écho tout à fait intéressant dans la vie de Natalie Portman, elle qui a finalement choisi de rompre sa promesse initiale (pas de scènes de nu) pour jouer le jeu d'Hollywood et prétendre aujourd'hui à la distinction absolue.
L'aspect fantastique du film, empruntant autant à Cronenberg qu'à De Palma, fonctionne à plein régime, Aronofsky égrenant avec suffisamment de subtilités les preuves de la folie de son héroïne, pour conserver la tension jusqu'à un climax assez terrassant d'intensité. Le New-Yorkais respecte aussi la structure de la comédie musicale, via cette coda d'hallucinations névrotiques se substituant à la traditionnelle séquence de danse extra-diégetique. Le tout distille bien sur une tension sexuelle plutôt bienvenue dans ce type d'exercice.
Comme toujours chez Aronofsky, le fond reste toujours un peu léger, pas grand chose à dire, le film soulignant un peu toujours ostensiblement ce qu'il a à dire, et l'épreuve du second visionnage ne jouera probablement pas en sa faveur. Cependant, je peux déclarer que Darren peut être fier car il vient, ici, de livrer son meilleur film. C'est-à-dire son premier bon film.