Boudu sauvé des eaux par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Boudu, clochard et anarchiste, perd un jour ce qu'il a de plus cher au monde, son fidèle compagnon, son chien. Se retrouvant brutalement seul et n'ayant de ce fait plus d'intérêt pour la vie, il se rend sur les Quais. Perdu dans de morbides pensées, tout à coup, il se jette dans la Seine sous les yeux des passants. Par chance un libraire du quartier aux idées libérales, Monsieur Lestinguois, va plonger, récupérer, soigner et héberger Boudu. Celui-ci, bourru et d'un sans gêne incroyable, va d'abord en vouloir au pauvre Lestinguois de ne pas l'avoir laissé mourir. Puis petit à petit notre clochard va trouver une vie à peu près normale à tel point qu'il deviendra même quelque peu séducteur après être passé sous la douche, chez le coiffeur et le tailleur. Toutefois, par ses maladresses et son anticonformisme notoire, il ne pourra s'empêcher de semer un certain désordre chez son bienfaiteur qui, malgré tout, ne lui en tiendra pas trop rigueur. Malgré cette parenthèse dans sa vie, c'est bien dans ses oripeaux que Boudu redeviendra lui-même...


Ce film est un modèle de satire sociale. Le contraste entre deux types de société est formidablement bien senti. D'un côté Boudu, clochard sans complexe avec pour toute famille son petit chien et vivant tranquillement au jour le jour en se fichant de la société, de l'autre, la famille Lestinguois, petits bourgeois bien braves mais enfermés dans un carcan de principes. Toutefois monsieur Lestinguois essaye, aidé de son entourage, d'adapter le clochard à un mode de vie qu'il croit être le plus convenable. Mais Boudu, lui aussi a son mode de vie à lui avec son raisonnement et ses idées anticonformistes sur le monde qui l'entoure. Il faut croire que sa vision des choses peut avoir du bon puisque notre Boudu finit par avoir raison de "la bonne moralité et de l'ordre établi". Ces dames vivant sous le toit de Monsieur Lestinguois vont se laisser séduire par sa fantaisie, son insouciance, sa maladresse et sa logique de la vie simple. Il y a des passages absolument sublimes qui dépeignent le personnage dans toute son insouciance et qui resteront des scènes d'anthologie: Madame Lestiguois se retrouvant au lit avec Boudu après avoir cédé à son charme, notre clochard, un peu plus civilisé, mangeant salement avec les doigts ou remplaçant son patron à la librairie et crachant innocemment dans "La physiologie du mariage" de Balzac. Tout cela nous montre que dans la vie personne ne détient la vérité et que la vérité n'appartient qu'à soi-même. Lorsque l'on veut contraindre les autres à vivre selon un principe que l'on croit être le bon, il n'est pas dit que celui-ci s'applique à tous. La preuve, cette tentative de tenter de "civiliser" un homme heureux jusqu'à la disparition de son chien peut se révéler être pour les uns comme pour les autres un échec parfois irrémédiable. Par ce biais, c'est avec beaucoup de tact et d'intelligence que le réalisateur plaide pour le droit à la différence.


Après le film "La chienne" Jean Renoir et Michel Simon s'étaient trouvés tellement de points communs que ce dernier décida de produire lui-même "Boudu sauvé des eaux", Jean Renoir assurant la mise en scène. Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. Michel Simon est inénarrable tant ce rôle de personnage hors du commun de clochard roublard, vulgaire, indiscipliné et irascible mais tellement attachant par sa philosophie particulière de la société. Il se trouve excellemment entouré par une pléiade de comédiens qui lui donnent une réplique très convaincante dans leurs personnages si différents de Boudu dont Charles Granval et Marcelle Hainia, dans les rôles de ses bienfaiteurs: Monsieur et Madame Lestinguois. Si le sujet de ce merveilleux film datant de 1932 est révolutionnaire pour l'époque, la mise en scène l'est tout autant. Dans ces années-là, le cinéma français ressemblait plus à du théâtre, filmé avec beaucoup de scènes d'intérieur et très peu de mouvement. Jean Renoir va révolutionner et changer ces habitudes en filmant en décors réels. Il récidivera quatre ans plus tard avec un moyen métrage fabuleux : "Partie de campagne". Quant au scénario de ce même Jean Renoir d'après l'œuvre de René Fauchois, il est tout à fait savoureux par son esprit libertaire et son humour acide.


De par son allure, sa façon d'être, son expression et la conviction avec laquelle il est entré dans la peau du personnage, on est obligé de constater que Boudu ne pouvait être interprété que par Michel Simon, d'ailleurs lui -même affirmait: "Boudu, c'est moi".
Ma bote: 9/10

Grard-Rocher
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Créée

le 15 déc. 2013

Modifiée

le 25 mars 2013

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