La Belgique n'est pas seulement le pays de la bière et des frites mais est également une contrée de cinéma. Outre les mythiques frères Dardenne, chouchous de la Croisette, qui multiplient les récompenses, le cinéma belge actuel transpire la sérenité et nous livre quelques bonnes surprises de temps à autre. Bullhead a fait parler de lui grâce à sa nomination à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère (remporté par le film iranien Une Séparation) et a débarqué dans nos salles obscure le 22 février. Avec une intrigue située sur fond de trafic d'hormones, Michael Roskam signe un thriller haletant et ambitieux qui, bien qu'il ne soit pas parfait, marque les esprits.



Le film nous raconte l'histoire de Jacky Vanmarsenille, un agriculteur flamand qui trempe dans des affaires louches liées à la puissante "mafia des hormones" régnant en Flandres occidentale. C'est un personnage fascinant, aux allures de brute épaisse, qui semble renfermé sur lui-même et très violent. D'ailleurs Bullhead est davantage un film de personnages qu'un film sur cette pègre particulière. Le portrait de cet homme est le coeur du film, je reviendrais dessus un peu plus tard.
Roskam nous plonge dans une ambiance sombre, presque glauque, mais arrive à parsemer plusieurs touches d'humour de temps à autre, ce qui ne m'a pas forcément plu puisque ça casse un peu la noirceur du cadre. La distinction flamands/wallons apparaît distinctement dans ce film d'ailleurs, ce qui reflète une certaine réalité d'ailleurs, perceptible quand on va faire un tour en Belgique. C'était judicieux de proposer un schéma aussi réaliste même si j'émets quelques réserves quant aux personnages wallons souvent caricaturaux, à l'image des garagistes liégeois dont le quotient intellectuel dépasse à peine celui d'un géranium.

D'un point de vue formel c'est plutôt pas mal même si ça ne casse pas trois pattes à un canard. Je ne suis pas fan de la photographie et des quelques filtres ici et là mais ça reste convenable, ça participe à l'atmosphère moite du film sans être moche. La mise en scène est étudiée, propre, limpide et d'ailleurs Roskam fait preuve d'un beau sens du rythme. C'est relativement lent mais le film est très accrocheur, ceci en grande partie grâce à sa structure narrative.
La trame pourtant est assez classique, l'évolution est chronologique et plusieurs flashbacks sur l'enfance du héros font leur apparition. Mais ces séquences sont fortes et d'ailleurs les scènes concernant Jacky enfant sont aussi belles que cruelles, on y voit à la fois la candeur de l'enfance, les découvertes propres à cette période de la vie de chacun comme la fascination pour une jeune fille et toute la cruauté inhérente à cette période. Je n'en dévoilerais pas davantage car ces passages sont essentiels à la compréhension du caractère de Jacky qui en sera marqué durablement



Comme je l'ai sous-entendu, le thème principal du film se concentre surtout sur les blessures d'un homme, marqué à vie par un évènement tragique. Matthias Schoenaerts est juste hallucinant dans ce rôle, il l'habite avec une grande conviction et contribue à rendre ce protagoniste fascinant. D'ailleurs l'acteur est une des valeurs montantes du cinéma contemporain, on devrait le voir dans davantage de productions dans les années à venir, au vu de sa performance c'est amplement mérité. Un personnage envoûtant et charismatique qui, derrière son apparente virilité, cache une grande fragilité due à son passé.
Le reste du casting ne s'en sort pas trop mal non plus, Bullhead s'appuye sur une solide interprétation. Le film aborde aussi quelques thèmes en surface comme l'amitié ou encore l'homosexualité, et d'ailleurs j'ai trouvé ça très intelligent de ne pas approfondir en détails ces thèmes bien que l'amitié entre Jacky et son ami d'enfance Diederik prenne une place non négligeable dans l'intrigue. Ici dans Bullhead on parle vite fait d'une histoire d'amour homosexuelle sans qu'il y ait de réelle réflexion dessus, ce qui n'alourdit pas le récit, ça aurait été clairement superflu.

Le film est assez tendu et ce dès le début, j'ai beaucoup aimé l'introduction et la scène finale est très forte. Malgré un côté légèrement classique, il y a une véritable profondeur scénaristique privilégiant un suspense malin. On évite pas quelques petits clichés, quelques (rares) scènes banales mais l'ensemble se révèle convaincant. Il y a un réel talent devant et derrière la caméra, et à défaut de révolutionner le cinéma, Roskam signe une oeuvre maîtrisée et passionnante. Le film reste de plus assez accessible, il n'y a pas de violence exacerbée ni un rythme trop lent ou encore de réflexions poussées. Le résultat global s'avère très bien ficelé.

Bullhead m'a plu même si je n'ai pas forcément adoré du début à la fin. Ceci dit le film reste dôté de nombreuses qualités avec quelques passages marquants et un traitement très efficace de son (ses) sujet(s). On ressent une réelle empathie pour le personnage principal, une "bête blessée" qui souffre depuis sa tendre enfance, qui n'ose pas aller vers les femmes et qui cache son mal-être sous une impressionnante musculature.
Ce film constitue pour moi une bonne petite surprise et mériterait d'être connu davantage. En tout cas il s'agit d'un bon film, assez intéressant visuellement et plutôt intelligent bien que ce soit un peu classique sur les bords. Une bonne découverte.
Moorhuhn
7
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le 15 avr. 2012

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Moorhuhn

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