Documentaire carcéral ou film théâtral ?

Documentaire carcéral sur un quartier de haute sécurité ou film de fiction théâtral adaptant librement le "Jules César" de Shakespeare ? "César doit mourir" joue sur les deux tableaux avec justesse. Les (vrais) détenus jouent comme des (vrais) pros : leur vérité brute a quelque chose de viscéral, elle happe le spectateur même récalcitrant.
Le noir et blanc fortement contrasté qui habille cet immense flash-back, peu justifié mais très élaboré, nous offre des images qui mêlent étrangement l'immersion (la présence des corps, des accents, des visages...) et la distanciation (le N&B comme possible fossé temporel entre ce milieu carcéral et le spectateur). Shakespeare déroule son génie : son texte est la force majeure du film. La scène de l'éloge funèbre de César sur le forum est impressionnante, toute comme celle qui entend les pensées des détenus s'élever par-dessus les toits de la prison. On regarde à travers les barreaux les séquences où les prisonniers répètent leurs scènes, les plus belles et intenses du film, qui sont mises en scène de façon magistrale.
Et voilà que le détenu qui joue Cassius nous lance à la figure une phrase en regard caméra, juste mais ô combien simpliste : "depuis que j'ai découvert l'art, ma cellule est vraiment devenue une prison" ! Voilà qu'il nous interpelle, nous, spectateurs de cinéma, sur un ton moralisateur qui sonne faux. Quel besoin y a-t-il à surligner de façon triviale le propos du film, par ailleurs limpide ? On découvre alors les petites traces de vernis maniériste et superfétatoire de ce film par trop italien (comprenne qui pourra) : postsynchronisation peu subtile, cadrages très (trop) stylisés, petits arrangements avec la vérité... À ne pas savoir doser la réalité et la fiction ("C’est à la fois tout vrai et tout faux" a dit Paolo), les frères Taviani passent à côté du chef-d'oeuvre. Reste un très bon film, exigeant, intense, au concept (faire tourner des détenus) et au propos (l'art comme seul véritable espace de liberté) qui méritent le détour.
EleuthereJ
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le 3 nov. 2012

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