La madeleine de Kar Wai

Chungking Express est un pain perdu. Au rhum. Et à l'ananas. Surtout à l'ananas.

Un pain perdu sûrement un peu particulier que tu regardes avec une curiosité un peu gênée, comme si tu n'osais pas y goûter, ne sachant pas par quel bout le prendre.
Son odeur un peu vanillée, assez confuse, remplie de je-ne-sais-quoi d'attirant (peut-être sa chaleur naturelle ?) t'attire cependant. Et puis après tout, pourquoi pas ? Tu n'as rien à perdre, n'est-ce pas ?

Tu te lances, commençant par une rondelle d'ananas, légèrement caramélisée et dont le fondant libère une délicate sensation douce-amère, une poésie à elle toute seule.
Mais ça ne suffit pas, pris d'une soudaine envie, tu enchaînes directement avec un morceau du pain. Son onctuosité craquante, mêlée d'un peu de rhum, te réchauffe le cœur et les joues. Le pain, imprégné de la liqueur des rondelles, offre une profondeur insoupçonnée, une légère acidité ensorcelante. Tu ne saurais dire pourquoi, mais il y a comme une douceur naïve et exaltée se dégageant du tout. Comme si malgré leurs textures différentes, l'ananas et le pain perdu se rejoignaient, se complétaient et virevoltaient dans un tango d'une énergique mélancolie.

Chaque bouchée diffère de l'autre, chaque morceau du gâteau délicieusement avalé appose aux tréfonds de ton âme une impression différente. Tu remarques en dégustant l'un l'aspect légèrement brûlé du caramel, ou alors le goût du rhum, ou encore la consistance du pain.
Toutes ces impressions disparaîssent cependant progressivement, ou plus encore, éclatent dans ta mémoire, se mélangent pour ne former qu'une impression unique aux multiples facettes. Tu n'as plus dans tes souvenirs le goût de l'ananas, mais une sensation, mûrissant avec le temps, transformant défauts en évidentes qualités.

Tout s'exacerbe, le simple fait de tenter de te rappeler tel ou tel élément fait se métamorphoser l'ensemble, pour ne laisser au fond qu'une impression indéfinissable, une essence adorable impossible à appréhender pleinement, mais qui existe, qui est même le principal.

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Finalement, c'est après la séance, en y repensant, en réécoutant les musiques pop, jazzy qui font danser les images de Chungking Express qu'on se rend vraiment compte de la valeur extraordinaire du film, une valeur unique à tout un chacun, faite d'impressions teintées d'une nostalgie en ébullition.
Et bon sang, mais qu'est-ce que c'est bon, qu'est-ce que c'est vivifiant, qu'est-ce que ça donne envie de chanter !

>>> http://www.youtube.com/watch?v=K7yez4lXjBI <<<