Cléopâtre avait déjà été le sujet d'une dizaine de films anglo-saxons, notamment dans les années 1910, puis dans un opus signé DeMille en 1934 et un autre en 1945 avec Vivien Leigh. Gargantuesque en tout, Cléopâtre de 1963 est marquant pour ses fastes et sa débauche d'abord, sa saveur littéraire ensuite. Avec ce péplum, Mankiewicz (Eve, Le Limier, Madame Muir) livre un négatif de son Jules César tourné dix ans plus tôt. Celui-là était une véritable adaptation de Shakeaspeare et l'épure le soulignait ; Cléopâtre en a le goût, les manières bien souvent, l'orientation en revanche est externe et tout à fait égoïste. Les complots politiques et la marche de l'Histoire sont des catalyseurs, parfois presque les à-côtés des passions de Cléopâtre et ses amants ou plus proches collaborateurs.


Le scénario n'est pas très riche (jamais plus fourni que les informations générales à disposition) et les quatre heures donnent tout le loisir de s'en rendre compte ; pour peu qu'on s'y intéresse, car après tout l'essentiel est sûrement ailleurs. Il est là où le film a été honoré par les Oscars (musique, son, casting) : dans les reconstitutions, les décors massifs, les bijoux et les 65 costumes de Liz Taylor (dont une robe incrustée d'or). L'arrivée à Rome de Cléopâtre est le climax de toutes ces démonstrations. Certains artifices et légers anachronismes permettent de parfaire toute cette splendeur : lors de la bataille en mer par exemple, où les teintes sont anormalement éclatantes (malgré les fumées et le chaos matériel) et les bateaux disposés de manière à éblouir les spectateurs, plus qu'à rendre compte fidèlement des faits ou des éléments techniques liés à de telles circonstances.


Finalement le film fut l'un des plus dispendieux et par là un sommet pour Hollywood. Le budget initial est explosé des dizaines de fois, la Fox craque et en arrive à vendre des terrains. Le tournage s'étira sur cinq ans et fut remplit d'intrigues, faisant du film un objet d'attention et de fantasmes dès cette étape. Côté ressources humaines, les chamboulements sont nombreux : aux caprices de stars et à la liaison entre Burton et Taylor derrière l'écran, s'ajoute le problème du réalisateur. Le projet était d'abord dirigé par Rouben Mamoulian, qui abandonna après n'avoir mises en boîte qu'une poignée de minutes. Mankiewicz doit sa place à une suggestion de Taylor (il la fit jouer la nièce éprouvée par Katharine Hepburn dans Soudain l'été dernier -1959) ; les circonstances lui permettent une certaine autonomie face aux canons de la Fox (d'où la mise en valeur de la solitude et du spleen pharaonique). Néanmoins le montage final du producteur Zanuck décevra le réalisateur, qui comptait proposer une double séance avec des opus de près de trois heures. À la place du director's cut de 5h20, les spectateurs trouvèrent une version de 4h puis une autre d'un peu plus de 3h (avec une « intermission »).


Tous ces investissements démesurés paient, mais le bénéfice n'est pas si net. La séance est plaisante plus qu'envoûtante ; Cléopâtre est un délassement rococo, pas un déchaînement de passions ou un mastodonte électrisant. Loin de sa déflagration dans Virginia Woolf, Taylor est fascinante pour d'exquises raisons en captive des romains. Même les plus éminents parmi ces derniers sont comme le reste : des figurants autour de la pharaonne. D'ailleurs César est morose. Il a 52 ans et pense à se protéger plutôt qu'à s'affirmer encore. Le temps des conquêtes est fini, l'écriture de sa Guerre des Gaules appartient déjà au passé. Malgré le focus sur l'intimité de Cléopâtre et son entourage proche, la séance reste assez superficielle. L'équilibre entre les facettes romanesques, historiques ou militaires, personnelles et amoureuses, tend au catalogue de prestige. Pour autant le charme exercé est global, les longs dialogues flattant aussi l'esprit de sérieux : toujours pertinents, fluides malgré leurs lourdes charges ; mais d'une intelligence presque exclusivement factuelle, immédiate.


https://zogarok.wordpress.com/2016/02/09/cleopatre-1963/

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le 8 févr. 2016

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