Deux hommes, chacun patron d'un magasin de poissons exotiques en rivalité avec l'autre, se lient d'amitié après que la fille du moins fortuné se soit fait prendre en flagrant délit de vol dans l'établissement concurrent. Peu à peu, le plus âgé (et le plus riche) du duo prend l'ascendant sur l'autre, infiltrant sa vie de famille à grands coups de sourires chaleureux...


Cold Fish. Un de ces films que l'on est content d'avoir vu seul : nos parents nous auraient renié, nos amis auraient fui, notre femme nous aurait quitté. Plus on grandit plus les gifles se font rares. La vie nous en fait voir, les films aussi. Du coup, on commence à être paré. Ce petit moment où on se dit "Ah ouais, quand même...", il sait désormais se faire attendre. Dans le cas de Cold Fish, c'est plutôt bénéfique. Ce n'est pas notre sensibilité passée qu'il veut remuer du sol au plafond, mais bien notre carrure et notre sens moral d'adulte.


Il n'a l'air de rien ce petit film japonais un peu fauché, avec son pitch de drame social (ce qu'il est aussi, quelque part) et ses personnages agités. Mais ce qu'il dresse, c'est le portrait d'un homme dont l'impuissance verbale et le physique timide seront soumis à une tension constante. En 2h30 bien senties, il explore une série de thèmes parmi les moins rassembleurs que l'on puisse proposer : manipulation, abus de faiblesse, solitude, repli sur soi, frustration, rejet et dégoût. Cela ferait beaucoup pour un seul homme si un certain Sono Sion (The Land of Hope, Love Exposure) n'était pas aux commandes de cette étude anthropologique en forme de fuite en avant, authentique drame horrifique déguisé successivement en comédie de moeurs puis en thriller psychologique.


Une oeuvre qui n'a peur de rien, et surtout pas d'elle-même. Sono Sion étant homme à aller au bout de ses idées, il préfère l'efficacité brute à l'ellipse confortable, la réaction épidermique à l'effet mûrement réfléchi. Il n'y va donc pas de main morte pour nous mettre le nez dans le malaise quotidien de son héros. Ainsi, on peut lui reprocher une tendance à en faire trop mais son film se situe en fait au-delà de la surenchère : les situations en elles-mêmes sont assez perturbantes pour supporter un traitement tout aussi appuyé. Il ne détruit pas ses idées par excès de signifiance mais les pousse à l'extrême jusqu'à la déformation, la fracture, la difformité. En résulte une expérience dont les vertus cathartiques laissent pantelant, essoré.


Bien que le cinéma ne fasse appel qu'à deux de nos sens, certains longs-métrages sortent tellement des tripes qu'ils laissent un goût amer dans la bouche et une sensation tenace de crasse sur la peau. Un conseil, faites comme moi : n'allez pas voir la bande-annonce ni la moindre photo, découvrez le film en profane, l'esprit vierge et les nerfs bien accrochés. Filmé à hauteur d'un homme dévoré par la peur, Cold Fish est un poème macabre au nihilisme sans retour. Et c'est bien ce qui le rend aussi puissant.

Fritz_the_Cat
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le 18 févr. 2014

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Fritz_the_Cat

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