Comme un torrent, l'un de ces titres qui me parle, beau, puissant, suggérant la force des émotions, des sensations, leur intensité, et surtout la complexité des êtres partagés entre des sentiments contradictoires, ce que résume très bien James Jones, auteur du roman "Some came running" qui a inspiré l'adaptation : "



J'ai voulu montrer la distance qui sépare les êtres humains, le fait que deux personnes ne vont jamais tout à fait ensemble, une séparation entre deux êtres du fait d'une espèce d'incommunicabilité entre eux, chacun désirant être aimé plus qu'il n'en est lui-même capable."



Dave Hirsh, c'est le noceur invétéré, prompt à la bagarre, celui qui s'acoquine dans les bars avec petits truands et femmes faciles, noyant son mal-être dans le whisky, mais c'est aussi et surtout un être blessé par la vie dont la sensibilité à fleur de peau et l'exigence intellectuelle lui font rechercher dans l'écriture un exutoire à ses blessures d'enfance.


Rien d'étonnant alors à ce que le jeune homme démobilisé revienne dans sa petite ville natale de l'Illinois qu'il avait quittée sans gloire à l'âge de 12 ans, placé dans un foyer par un frère aîné sans scrupules.
La "brebis galeuse" débarque donc, le cerveau plus ou moins embrumé par les vapeurs d'alcool dans le Parkman de son enfance, serré de près par Ginnie, petite prostituée naïve et voyante qui l'a suivi depuis Chicago ayant succombé "at first sight" au charme du beau soldat.


Et avec l'arrivée de , "Dave, celui par qui le scandale arrive" sorte de catalyseur dans l'univers calme et sclérosé de la petite ville, c'est le choc de deux mondes parfaitement illustré dans le film : d'un côté une bourgeoisie frileuse et hautaine repliée sur elle-même, que symbolisent Frank Hirsh, notable en vue et sa femme, évoluant dans une caste de privilégiés, et de l'autre ce monde de la nuit que trouent néons violents et enseignes flashy, où marginaux, artistes paumés et joueurs plus ou moins louches se réunissent dans des arrières salles pour leurs parties de cartes prohibées.


Dean Martin, panama blanc vissé sur la tête incarne avec une aisance jubilatoire ce joueur bon vivant et sympathique mais cynique et macho, plus conformiste qu'il n'y paraît, au sein d'une société codifiée où chacun finalement, doit rester à sa place.


Et puis, symboles vivants de ces deux univers, deux femmes complètement à l'opposé l'une de l'autre : Ginny, la prostituée au grand coeur, gentiment clinquante, silhouette moulée de rose, oeil bleu et fleur aux cheveux, qui laisse naïvement exploser sa joie ou sa peine, riant fort, sanglotant comme une enfant, traînant sa peluche sac à main tel un doudou, criant à la face de tous qu'elle a enfin trouvé l'homme de sa vie, sorte de "petit oiseau tombé du nid", infiniment touchante et "pure" dans son Amour inconditionnel et ce sens du sacrifice qui lui confère une dimension héroïque.


Face à elle, la blonde Gwen, coiffure impeccable, intellectuelle séduisante mais refoulée, qui redoute le monde des sensations et des sentiments, monde inconnu qui la déstabilise, l'effraie et l'attire tout à la fois et qu'incarne avec charme et fausse nonchalance Dave, amoureux, impérieux, exigeant, fasciné par cette femme qui se flagelle charnellement en se refusant à lui et qu'il a désespérément envie de conquérir.


Comment ne pas évoquer à cet égard l'une des scènes les plus belles, les plus romantiques, les plus troublantes, où Gwen , tout à son bonheur d'avoir lu l'ouvrage inspiré de Dave, se laisse enfin aller au désir qui la brûle, comme désinhibée par les cheveux qu'il lui a dénoués : une scène magnifique entre ombre et lumière et le baiser passionné qu'elle lui donne enfin, dans un halo doré d'un érotisme subtil où ils apparaissent tous les deux en ombre chinoise.


Un puissant mélodrame porté par des acteurs qui, chacun dans sa partition nous offre un spectacle très fort, aux couleurs chatoyantes que n'aurait pas reniées un Douglas Sirk et qui de Frank Sinatra à Shirley MacLaine et Dean Martin nous fait aimer ce très beau film de Minnelli.

Aurea

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