J'ai vu Control sur grand écran pour la troisième fois.
Mes rapports avec ce film sont un peu de l'amour mêlé à la haine. Des phases de forte identification contre des incompréhensions totales.
Lors de l'avant-première, j'avais poussé la porte de la salle et parcouru de mes yeux la pénombre pour m'apercevoir de la trop faible répartition de sièges vides. La foule ne me terrifie pas forcément. Cependant, une salle de cinéma dévorée par la respiration ronflante de trop nombreux spectateurs m'attère.
Pourtant, j'avais surmonté l'effroi primaire pour m'immerger complètement dans le film, emporté par l'imagerie noire et blanche, ce sentiment de mal-être étouffant, ces chansons sibériennes... J'avais aimé.
Un mois plus tard, nous avions prévu de revoir ce biopic avec des amis. C'était un mardi soir il me semble, une séance tardive : la dernière de la programmation. Lorsque je suis entré dans la salle vaincue par l'abandon de spectateurs, j'ai rapidement compris mon erreur. La disposition n'était pas là. Les conditions étaient sans-doute meilleures mais mon esprit a littéralement refusé de suivre Anton Corbijn à travers la vicissitude de son personnage principal.
L'envie de revoir le film m'a complètement abandonné jusqu'à bouder le dvd à sa sortie. Même l'écoute de Joy Division en a pris un coup.
Jusqu'à ce qu'une asbl où j'ai mes habitudes organise sa propre séance. Et la déception dernière s'est laissée embaumer d'un parfum de mélancolie qui chatouille les sens. Un doux manteau qui colle à la météo et donne envie de réécouter Joy Division, d'acheter le dvd de Control, de lire des biographies.
Je suis fasciné par le suicide. Cependant, je n'ai jamais réellement pu comprendre le suicidé. Ce courage. Cette lâcheté. Ce désir de mort lorsque la vie semble trop courte pour combler ses désirs. Nausée fatale. Je ne l'ai jamais ressentie. Enfin, je ne l'avais.
Mardi soir, sa respiration s'intensifie tandis que je me tortille sur le matelas. Mon esprit vogue rondement d'une idée à l'autre. Cela m'arrive constamment. C'est comme une douce torture qui vous absorbe et gomme la réalité. Votre corps vous inflige une douleur féroce comme s'il était trop petit pour vous. Vous sentez qu'à tout instant, vos os vont réduire votre peau en lambeaux. Ils semblent pousser et pousser encore. Alors je me lève lentement et rejoins le salon. Je m'allonge sur le divan et agrippe ma tête de mes mains. Je sers mes tempes si fort que je suis obligé de fermer les yeux, de peur qu'ils ne giclent de leur orbite.
Je suis couché sur le tarmac froid et des gravillons sont les boursouflures de mes lèvres. Je lèche le goudron. Il est dénué de goût. Mes cheveux trempent dans une flaque grise et lorsque je me relève, ils plaquent ma joue comme de grandes cicatrices foncées, défigurantes. J'ouvre les yeux.
La pièce est noire. Seule scintille l'heure sur la mini-chaîne. 02:14. Et c'est à cette heure-là que pour la première fois j'ai ressenti l'envie de mourir.
Soudain, les problèmes, les responsabilités... Cette putain d'absurdité s'est élevée devant moi comme un mur opaque et austère et j'ai eu envie de hurler. J'ai eu envie de pleurer.
Pour être franc, je n'avais pas trop envie d'évoquer cette nuit parce que tout évolue. Les sensations deviennent des souvenirs cuisants, blessures à l'âme qu'on panse à coup de petites joies et de moments intenses. Puis, en sortant de la séance de Control, Veda et moi discutions et au milieu de la conversation, elle a glissé anodinement « j'ai déjà eu assez souvent l'envie de mourir » ...
Control est un de ces films qui amènent ce genre de confidences.