Adapter un roman de Don Delillo n'est pas mince affaire. Deux univers aussi forts que celui du cinéaste et de l'écrivain promettaient une belle mais risquée rencontre. Le résultat fait des étincelles.

Au classicisme ampoulé et fastueux de son film précédent, Cronenberg préfère cette fois l'économie d'un décor quasi unique, celui d'une voiture. A l'intérieur de ce dispositif passionnant et merveilleusement élaboré, un acteur qui parvient enfin à nous convaincre de son talent, Robert Pattinson, absolument irréprochable. Le cinéaste fait mine de s'éloigner de ses interrogations habituelles pour mieux les servir : qu'est ce qui travaille l'esprit tordu d'Eric Packer sinon le désir de vivre ? Une pulsion de vie qui est une envie de sentir, d'éprouver. C'est donc un film très théorique sur l'apprentissage d'un homme hermétique et insensible à s'ouvrir au monde, à ses beautés et ses dangers. Le corps est au cœur de la réflexion et les épreuves physiques traversées convoquent tant le plaisir de la chair que la souffrance : on échange toutes sortes de fluides corporels dans Cosmopolis : sperme, salive, sang. La limousine traverse une ville en décomposition et la quête de vie passe par un détachement par rapport au matérialisme et à l'argent, que le héros dilapide à dessein.

L'adaptation du roman est minutieuse, fidèle, parfaite : Cronenberg rivalise d'inventivité pour transposer les situations du roman en images éminemment cinématographiques, usant d'un décor technologique étonnant (les transparences sur les vitres, l’interaction entre l'intérieur de la voiture, le monde extérieur de la finance, invisible, et deux trois lieux devant lesquels on s'arrête et que l'on va visiter). Un monde s'effondre mais ce n'est pas grave puisqu'un homme advient, finalement. Paradoxe ultime d'un film qui dénonce joyeusement les travers de l'individualisme du modèle américain tout en célébrant le plaisir égoïste de se sentir enfin soi. La dernière image, en suspension délicieuse, est un joli contrepoint à ce cul de sac : libre à nous de trancher et de voir quel terme Packer met-il à sa quête absurde et autodestructrice.

En bonus de ce film fou, radical et passionnant, une apparition mémorable de Binoche, une bande son inhabituelle de la part d'Howard Shore et un texte conservé presque au mot par rapport au roman. Un bon film punk et intelligemment nihiliste.
Krokodebil
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le 14 sept. 2013

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