Cyrano est l'exemple du héros romantique. On pourrait craindre le ridicule, la mièvrerie. Comment Rostand parvient-il à éviter cet écueil? En poussant son héros jusqu'au paroxysme ("j'ai décidé d'être parfait en tout, pour tout"), en en faisant un être démesuré, il le sort par le haut, hors de toute comparaison, hors de toute référence.

Cyrano est donc démesuré. Aucun super héros ne l'est autant car son panache est sans équivalent ("On ne se bat pas dans l'espoir du succès. C'est bien plus beau lorsque c'est inutile"). Il s'exerce par le courage, par la pointe de l'épée, par le verbe, par le sacrifice, par l'altruisme, par les privations de toutes sortes. Dans tous les domaines, il est plus grand plus fort que n'importe qui. En tout, il est surhumain, il est sublime.

"Qu’est-ce que le panache ? Il ne suffit pas, pour en avoir, d’être un héros. Le panache n’est pas la grandeur, mais quelque chose qui s’ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d’elle. C’est quelque chose de voltigeant, d’excessif, – et d’un peu frisé. Si je ne craignais d’avoir l’air bien pressé de travailler au Dictionnaire, je proposerais cette définition : le panache, c’est l’esprit de la bravoure. Oui, c’est le courage dominant à ce point la situation qu’il en trouve le mot. Toutes les répliques du Cid ont du panache, beaucoup de traits du grand Corneille sont d’énormes mots d’esprit. Le vent d’Espagne nous apporta cette plume ; mais elle a pris dans l’air de France une légèreté de meilleur goût. Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. Certes, les héros sans panache sont plus désintéressés que les autres, car le panache, c’est souvent, dans un sacrifice qu’on fait, une consolation d’attitude qu’on se donne. Un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, le panache n’est qu’une grâce ; mais cette grâce est si difficile à conserver jusque devant la mort, cette grâce suppose tant de force (l’esprit qui voltige n’est-il pas la plus belle victoire sur la carcasse qui tremble ?) que, tout de même, c’est une grâce… que je nous souhaite." Extrait du discours d'Edmond Rostand à l'Académie Française.

Mais pour s'exercer, le panache a besoin d'un public. Sans son public, Cyrano n'est rien. Cyrano a besoin de nous pour exister plus que tout autre héros. Il laisse cette épitaphe: « Cyrano de Bergerac, qui fut tout et qui ne fut rien ».
C'est le perdant magnifique qui fait de si beaux héros au cinéma. Son choix de perfection lui fait tout rater. Alors que tous ripaillent autour de lui, il s'abstient, comme il s'abstient dans tous les domaines, comme il renonce à vivre.

Les autres personnages ne sont que des faire-valoir. Le comte de Guiche est une sorte d'anti Cyrano, jouisseur, profiteur, rancunier, mais qui garde son admiration au héros.
La belle Roxane, précieuse, un peu perverse, joue avec ses admirateurs. C'est pour elle que Cyrano déploie toute sa démesure.
Christian de Neuvillette, bien que courageux n'a aucun des dons de Cyrano et accepte un accord que d'autres jugeraient humiliant. Sans lui, Cyrano n'aurait pas à se sacrifier.

Si le personnage est évidemment parfait pour le cinéma, la pièce, elle, est très complexe et bien touffue pour être transposée telle qu'elle au cinéma.
Jean-Paul Rappeneau taille, adapte, mais heureusement conserve intact le personnage et les grandes tirades de Rostand. Il trouve aussi des décors somptueux.
Mais pour un personnage aussi démesuré, il fallait un acteur démesuré comme Jean Piat, Jean-Paul Belmondo, Jacques Weber ou ...Gérard Depardieu.
Autant dire qu'aujourd'hui, on serait bien embêté si on devait refaire une nouvelle adaptation.
-Marc-
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le 6 mars 2015

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-Marc-

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