Tout le monde connaît le principe du "domino cascade". Après des préparatifs de grande précision, chaque pièce étant placée au millimètre près, une pichenette du pouce et de l'index conjugués lance la cascade, chaque domino entraînant le suivant, et ainsi de suite, jusqu'à la chute finale qui révèle un dessin magique. L'intérêt du procédé tient à la multitude des voies empruntées et des pistes d'entrée se combinant, s'entrelaçant, se rejoignant dans de complexes figures en mouvement. C'est beau à pleurer. Il arrive cependant qu'un grain de sable (ou autre phénomène) vienne interrompre le mouvement et briser la magie. Il arrive que la cascade que l'on croyait éternelle s'arrête, avant d'avoir atteint son terme.

C'est un peu ce qui se passe pour le dernier Ozon. Alors qu'il se construit de multiples pistes et de subtils points de vue, faisant grimper chaque seconde la tension d'un récit complexe et passionnant, retors et voyeur, vers une issue que l'on devine (espère) explosive, la mécanique se détraque, et la belle machine, si intelligemment mise en mouvement, termine sa course sans carburant, glissant de travers vers un épilogue particulièrement raté.

La déception est grande tant on prend plaisir au jeu que le réalisateur met en scène. Comme souvent, le travail d'Ozon est brillant. Il réussit à mélanger les genres et brouiller les pistes pendant les deux tiers du film. Il s'y emploie tellement bien qu'on pense au Resnais de Smoking/No smoking, ou à la mécanique comico-kafkaïenne de Tom Sharpe. Très vite dans le vif du sujet, drôle et nourri de suspense, Dans la maison fonctionne merveilleusement bien tant que le héros reste précisément dans la maison. Alors qu'il rate sa sortie, Ozon rate le coche, et le spectateur fulmine. Rarement un film aura tant promis avant de tant décevoir.



À deux tiers réussis contre un tiers raté, Dans la maison demeure tout de même un film qui mérite qu'on s'y attarde. D'abord, comme on l'a dit plus tôt, parce qu'Ozon est brillant, et qu'il convient de saluer le parcours d'un cinéaste qui continue sa route et ne cesse d'essayer des trucs, au risque de se planter, ou pas (souvenons-nous de l'excellent Ricky et du drôlissime Potiche pour ne parler que des plus récents). Ensuite parce qu'il réussit encore une fois à proposer un casting quasi parfait. Fabrice Luchini et Kristin Scott-Thomas forment un couple délicieux, très réac' de gauche (ou lecteur de Télérama), tandis qu'Emmanuelle Seigner et Denis Ménochet nourrissent généreusement ce duo de la classe moyenne, caricatural et touchant. On sera en revanche plus nuancé sur le jeune Ernst Umhauer, plutôt bon quand il ne parle pas, mais beaucoup moins convaincant quand il ouvre la bouche.

Post-scriptum : la très brève apparition de Yolande Moreau est tellement à se pisser dessus de rire, qu'elle vaut à elle seule le déplacement.
pierreAfeu
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le 18 oct. 2012

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pierreAfeu

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