Adapté d’un soap-opera de la fin des 60s, huitième collaboration de Jonny Depp et Tim Burton, Dark Shadows n’est que le film d’un moment et il basculera rapidement vers les oubliettes de l’Histoire ; toutefois, il est armé pour en éviter les poubelles. Bien sûr, Dark Shadows s’inscrit aisément dans ce cinéma immature et artificiel qu’affectionne et confectionne le grand Tim, fuyant le quotidien et la complexité pour préférer la devise ampoulée et le défilé de vignettes. Mais Dark Shadows apparaît aussi comme un joli film pop ; pas seulement un produit "pop-corn" du samedi soir, mais aussi l’occasion de brasser plusieurs cultures, de travailler des références communes ou usuelles et d’en faire les lames de fond de son film. A tel point que, si Dark Shadows ne ressemble pas tout à fait à son époque, il se dégage d’impératifs vulgaires pour atteindre une dimension un peu supérieure, ou des individus très différents pourront retrouver un peu de leur monde (qu’il s’agisse d’un monde intérieur ou de schémas, d’une imagerie hérités d’expériences quelconques) ou de leurs aspirations de spectateurs.

Naturellement, il n’y a pas ici l’éloquence d’Edward qui parle si habilement (bien ou justement, c’est un autre sujet) de l’Amérique, l’extravagance suave de Mars Attacks ni, surtout et c’est le plus important, l’universalité et la vérité humaine des deux Batman. Mais Dark Shadows existe, pour lui-même et par quelques références ou piliers offrant à chacun une prise, une parcelle dans l’œuvre. Ainsi, le fan de la première heure, mais aussi le cinéphage, aura tout loisir de relever les stigmates de l’héritage burtonien et les sales manies réminiscentes de Burton : elles surgissent régulièrement, par le biais de personnages ou de dialogues faisant écho aux précédents travaux de l’artiste. Pour autant, le public jeune, demeuré primordial, est servi, mais Burton réussit l’exploit de concilier ses exigences avec celles d’un auditoire plus adulte (autrement dit, le compromis est moins "discount"). Par conséquent, le personnage identificatoire (raté mais pertinent) de l’ado teigneuse -Caroline- est secondaire, les velléités très "Darky Disney" à la Alice et "gothic destroy" façon Noces Funèbres s’accordent avec un souci du baroque flamboyant, prompt à emporter l’adhésion tant des amateurs de sagas boursouflées (qu’il s’agisse de Stargate ou des Feux de l’Amour – il suffit d’écouter les échanges entre Pfeiffer et Depp à l’arrivée du vampire) que d’amoureux de spectacles outranciers et haut-en-couleur. En quelque sorte, Dark Shadows est l’occasion d’une timide réconciliation des aficionados de Burton, un pont entre les différents mondes qu’il a esquissé. Mais l’ensemble demeure trop fébrile, ou anodin, pour donner des gages pour l’avenir.

Quelques élans poétiques s’incrustent même ça et là, avec en tête, l’arrivée de la jeune gouvernante -Victoria- chez les Collins, dans une atmosphère de conte initiatique, évoquant autant Massacre à la tronçonneuse que le Petit Chaperon Rouge. Le dernier tiers sera plus violent avec un Barnabas passant à l’attaque et le courroux d’une Angélique revancharde. Le film acquiert alors définitivement sa dimension d’attraction foraine glam’ kitsch, opulente et même assez gratinée en terme d’étrangetés grand-guignoles (la mort de la poupée de porcelaine).

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le 1 déc. 2013

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Zogarok

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