Dans une époque indéterminée où les survivants de quelque catastrophe (écologique ?) tentent de survivre comme ils peuvent, un boucher sans scrupules débite sa viande là où il la trouve. Et surtout sur qui il peut la prélever. Les habitants de son immeuble attendent à chaque fois avec impatience l'arrivée de viande fraîche.
Et puis arrive un clown qui cherche du travail. Le boucher l'engage alors comme homme à tout faire, en attendant qu'il se remplume un peu.
Dans cet immeuble cohabitent d'improbables personnalités comme savent en concocter délicieusement Caro et Jeunet. Cette galerie de portraits incongrus est un régal pour les sens, depuis le boucher psychopathe jusqu'à celle qui entend des voix et cherche par tous les moyens (et quels détours stupéfiants !) à mettre fin à ses jours.
On pourrait se croire au musée des horreurs humaines et pourtant... pourtant une étincelle de sublime poésie subsiste dans cet ordre infernal mené de main de maître par le diabolique boucher.
Cette magie poétique est incarnée par le clown qui a trouvé sa muse en la fille du manipulateur de hachoir, délicate jeune personne à l'opposé de son géniteur. Celle-ci joue du violon et le clown l'accompagne de sa scie musicale : leur duo est une ode à la félicité. Ils sont touchants de sincérité.
Cette dualité entre le bien et le mal, le beau et le laid, la grâce et l'ignominie, est traversée par des scènes surréalistes que l'on croirait sorties tout droit du cerveau enfiévré de Salvator Dali.
Et que dire de cette scène culte où le boucher, sur son lit à ressorts plutôt bruyant, trousse en rythme sa maîtresse tandis que la femme du dessous frappe son tapis, que le clown repeint un plafond, que la fille du boucher joue du violon, que les frangins percent en cadence leurs boîtes à vaches. Le rythme imprimé par le boucher va crescendo jusqu'à l'orgasme de celui-ci : c'est alors un feu d'artifice qui me fait hurler de rire à chaque fois.
Cette œuvre inclassable est un monument du cinéma burlesque, à la fois drôle et dramatique, terrible et émouvante. Une petite perle d'intemporalité.