L’époque de la prohibition fait partie de ces marronniers au cinéma, un sujet de prédilection déjà mainte fois développé par des cinéastes de renoms tels Brian de Palma, les frères Coen, Sam Mendes ou Sergio Leone pour ne citer qu’eux. Une époque emblématique du début du XXe siècle, marquant par la même la fin d’une époque et le début d’une autre. Quelques années charnières particulièrement intéressantes d’un point de vue cinématographique que John Hillcoat a souhaité prendre à son compte dans son nouveau film, quelques années après avoir approché le monde post-apocalyptique dans The Road. Adapté du roman « Pour quelques gouttes d’alcool » inspiré par la vie de la fratrie Bondurant, ce nouveau long-métrage se révèle rapidement être une démonstration de cinéma classique, efficace d’un bout à l’autre et maitrisant chacun des codes du genre à la perfection. Ce n’est clairement par l’œuvre la plus audacieuse que l’on est vu jusqu’à présent, voire elle le serait même moins que les précédents films du réalisateur, mais la solidité formelle de l’ensemble confère immédiatement à Des Hommes sans Loi un statut d’excellent film si ce n’est davantage.

D’ordinaire plutôt traitée dans l’enceinte des grandes villes comme New York, la question de la prohibition est ici amenée chez les rednecks frelatant eux-mêmes leur gnole, permettant une approche différente de ce que nous avions jadis pu voir à l’écran. Car en dépit du sujet, Des Hommes sans Loi reste un pur western témoin de la fin de vie d’une période et interrogeant sur la capacité des hommes à s’inscrire dans une nouvelle ère. Les chevaux ont laissé place aux premières voitures tandis que les gros durs se sont faits propres et portent des costards et des sulfateuses automatiques. Et le soin apporté à la mise en valeur du contexte est fondamental car il valorise la toile de fond servant de support à l’évolution des personnages, en fin de compte le pilier premier du film.

Qu’il s’agisse du personnage de Tom Hardy en chef du groupe badass, toujours prêt à sauter à la gorge des autres pour défendre les siens, ou de Shia Labeouf en cadet gringalet mais malin, tous suivent leur propre destinée au fils des minutes pour développer des caractères bien trempés, particulièrement bien retranscris par l’image. Et si le troisième frère est mis en retrait, ce n’est qu’au profit de ces deux têtes d’affiches qui évolueront ensemble mais sur des voix différentes, abordant la question du monde, de leur environnement, de l’industrialisation, de la prise de risque ou même de l’amour de façons diamétralement opposées. Un sujet de prime abord simple pour ne pas dire simpliste mais qui entre les mains de John Hillcoat s’élève à des niveaux de cinéma que l’on n’attendait guère sur ce film. Et c’est dans cet aspect très pur, très simple mais terriblement efficace, que des Hommes sans Loi puise sa force pour offrir une aventure aux allures de grands classiques du cinéma. Sur le plan narratif, le film ne laisse entrevoir aucune faille et tirera des situations les plus complexes sa puissance émotionnelle. Qu’il s’agisse des romances toujours subtiles et attachantes, ou des grands moments de fusillades et de violence, le film ne faibli ni ne ralenti jamais, emportant les spectateurs avec une facilité quasi insolente.

Un grand film témoin d'une époque donc, mais surtout un film de personnages et de “gueules” (belles ou moches), que l’on doit en grande partie au choix du casting hors norme, excellemment bien sélectionné et particulièrement bien dirigé. Il faut dire qu’avec autant de têtes d’affiches de qualité, le risque était limité mais la générosité et la sincérité de chaque membre de l’équipe est bluffante du début à la fin. Qu’il s’agisse de Tom Hardy (une nouvelle fois, quel charisme !) ou de Shia Labeouf qui portent littéralement le film sur leurs épaules, ou bien encore de tous les rôles annexes mais essentiels apportés par Jessica Chastain (fascinante), Mia Wasikowska, Gary Oldman ou encore Guy Pierce en méchant outrancier et cabotin absolument divin mais effrayant, tous contribuent à ce succès incontestable par une finesse de jeu devenant rapidement un vrai régal pour tous les spectateurs. Même si leur temps de présence à l’écran n’est pas toujours à la hauteur du travail effectué sur chacun d’eux, l’empathie générée est telle que l’on s’intéresse à tout le monde sans exception, permettant à chaque scène d’être à la fois passionnante et un vrai régal pour tous les amoureux de cinéma en terme de direction d’acteurs.

Les sous enjeux deviennent peu à peu de vraies histoires annexes au fil rouge principal contribuant à leurs échelles à la densité thématique de l’ensemble. Il y a dans le film de Hillcoat à la fois du Scorsese pour la peinture américaine, du Michael Mann pour les fusillades magistrales ou encore du De Palma pour tout le reste mais surtout, une compréhension absolue des codes qui régissent le genre pour en extraire la substantifique moelle et rendre une copie quasi sans faute. Plus qu’une histoire d’alcool ou de gangsters, c’est avant tout une histoire de famille à l’aube d’un nouveau monde auquel ils vont devoir s’habituer pour vivre ou disparaitre dans l’oubli. Entre réalité et légende, le film apporte en filigrane une réflexion intelligente sur la notion de mythe et sur l’immortalité. Portraits d’hommes, relations familiales, empruntes sur la société et mutations d’un pays, autant de sujets emblématiques du grand cinéma américain qui trouvent dans Des Hommes sans Loi un écrin particulièrement beau et efficace à leur pleine explosion sur grand écran. John Hillcoat signe ici un film absolument brillant qui s’apparenterait presque à un classique du genre. C’est réalisé sans concession et cette sensation d’être mis face à une oeuvre de 2012 aussi fortement imprégnée par le travail passé des plus grands se savoure à chaque minute. Bravo !
mcrucq
8
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le 5 sept. 2012

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Mathieu  CRUCQ

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