Pauvres professeurs, si malheureux

Ayant vu "Entre les murs" récemment, je n'ai pu m'empêcher de comparer les deux oeuvres durant la projection.

"Detachment" est assez creux. C'est le premier constat que j'ai pu faire. L'auteur ne se permet jamais d'approfondir son sujet. En fait, c'est pire, on dirait qu'il ne sait pas de quoi il parle, comme si il avait compilé les phrases clichés des professeurs sans essayer de les comprendre. Des phrases du genre : "c'est un métier ingrat", "l'enseignement ne fait qu'aller de pire en pire", "le professeur n'est pas soutenu", etc. Tous ces constats sont abordés, et bien d'autres encore, mais jamais vraiment approdondis. La relation avec les élèves est à peine survolée. C'est là la grosse différence avec "Entre les murs" qui justement se focalisait sur la dynamique d'une classe et d'un professeur.

Le film est très misérabiliste puisque le professeur (en général, pas seulement le héros) semble avoir la pire vie au monde : non seulement il ne s'épanouit pas au boulot sans l'aide d'une drogue, mais en plus la vie n'est pas rose non plus une fois rentré à la maison (décidément, personne ne respecte un prof!). Le bouchon est poussé si loin qu'on ne peut s'empêcher de rire. Ainsi, comme pour "Blackfish", je me mets à rire dans les moments les plus inconvenus (un suicide), tant l'auteur semble prouver qu'il ne place aucune limite au misérabilisme (la scène où la collègue surprend notre héros avec une élève est aussi très drôle car elle ne sert vraiment à rien dans le film si ce n'est ajouter un argument gratuit pour dire que être prof c'est la merde absolue). Je précise donc que c'est la forme, donc la manière d'aborder le sujet qui me fait rire, et non le sujet en soi (le suicide n'est pas un évènement auquel on assiste avec un paquets de pop corn).

Sans doute aurait-il donc fallu se concentrer sur un ou deux membres du corps professoral, et d'une classe, plutôt que de vouloir traîter de tout aussi superficiellement. Car de la sorte, cela ne fait que donner une image erronnée du métier, ce qui est d'autant plus embêtant lorsque l'auteur tente de retranscrire la réalité.

Les mauvais choix ne s'arrêtent malheureusement pas là ; j'osais espérer que la mise en scène relèverait le niveau. Surtout avec le charmant générique ainsi que plusieurs séquences d'animation qui parsèment le film de manière originale. Hélas, le réalisateur se montre encore plus maladroit, encore plus lourd à cause de sa manière de filmer très premier degré. Ensuite, l'on constate que l'auteur est incapable de réellement créer une ambiance sans effets de style, ses séquences sont très pauvres picturalement. Mais sans doute le pire choix qu'il ait pu être fait consiste à avoir engagé des acteurs aussi connus ; Adrien n'est vraiment pa crédible dans un registre réaliste, puis découvrir des têtes connues pour interpréter ces gens de tous les jours perturbe simplement parce qu'on n'arrive pas à voir des gens de tous les jours avec de telles têtes: on voit miss gros seins de "Mad men", mister dealer de drogue de "Breaking bad", miss ninja de "Kill Bill", le grand James Caan... non, vraiment, aucun ne convient... à part les élèves, mais comme ils sont à peine montrés...

Bref, "Detachment" est un film très pauvre dans sa narration (une accumulation de scènes gratuitement misérabiliste, une absence de construction des personnages, des relations) et dans sa mise en scène (un mauvais casting, trop d'effets de style) ; le réalisateur est souvent considéré comme un génie incompris, surtout depuis qe le vilain Edward Norton a remonté son film sans son accord... mais au fond je me dis que si ça tombe, Edward a bien fait, que le premier montage était très très mauvais. SOit, je ne saurai certainement jamais. Ce que je sais, en revanche, c'est que "Detachment" est un bien mauvais film que je ne recommande pas. Préférez plutôt "Entre les murs" qui est plus intéressant dramatugiquement parlant (construction aboutie du côté relationnel, approfondissement du sujet ne fut-ce que parce que ça ne part pas dans tous les sens et parce que l'auteur prend son temps pour mettre les choses en place (comme cette trahison des élèves suite au conseil de classe)) et scéniquement parlant (acteurs plus authentiques, mise en scène simple, épurée, sans effets de style inutiles).
Fatpooper
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le 15 août 2014

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