Diva n’est que très modérément apprécié sur SensCritique – et pas davantage pour nombre de mes éclaireurs préférés. Ce n’est pas forcément étonnant : toute l’histoire du film est faite de ces revirements d’opinion, de l’extrême rejet initial, au retrait de l’affiche, trop singulier, puis au bouche à oreille qui enfle, gonfle, jusqu’à l’immense succès public et critique, les césars et le statut de film culte. Avant nouvelles rechutes et nouveaux rebonds.


Donc ? Il n’y a rien de grave dans le fait de ne pas aimer Diva. Au reste, le dialogue d’un de ses principaux personnages, inquiétant, caricatural, mutique, le tueur skin incarné par Dominique Pinon pour sa première apparition au cinéma, se limite à une succession de « j’aime pas », qui rythment tout le récit et qui peuvent aussi bien rythmer toute une critique.



J’AIME PAS LES PARKINGS



Diva est une date dans l’histoire du cinéma français – après la parenthèse enchantée des 70’, le temps des utopies libertaires, des provocations ludiques, des révolutions idéologiques et sexuelles, puis le temps de toutes les désillusions, Diva, à l’aube des années 80, ouvre les portes d’un nouveau cinéma …


un cinéma dégagé, à l’écart de toutes les idéologies et des illusions modernistes ; un cinéma tout aussi indifférent au récit qu’il déroule, au point de révéler quasi immédiatement la clé de l’enquête par un spoiler énorme (un avant-plan « flou » qui en fait ne dissimule pas du tout le personnage !) ; un cinéma du look, soucieux d’esthétisme, délibérément superficiel en apparence, avec son opéra, ses lofts, ses rollers, ses tractions blanches … Certains parleront même d’un cinéma postmoderne, alors que ce terme, tellement galvaudé, finit par ne plus vouloir rien dire du tout. Cela dit, pour Diva, ce n’est peut-être pas si absurde. Car le film illustre assez bien cette constante postmoderniste de fusionner, de confondre culture populaire et culture élitaire. Et le choix du thème n’est peut-être pas si anodin : l’opéra magnifié, mais avec les moyens de la pub, du clip musical, des couleurs vives et du pop art ...


Et encore, bien plus ludiques que postmodernes, les citations disséminées ici et là, un accordéoniste aveugle, la jupe de Marylin s’envolant sous les traits d’une Brigitte Lahaie subliminale – et surtout, le magnifique hommage, trait pour trait, à E.P. Jacobs et à la Marque jaune, dans la séquence, si bien intégrée au récit, de l’usine désaffectée.


(Certains pourraient aussi parler d’un cinéma bling bling – sauf que le concept n’existe pas à l’époque et que le film n’est pas réalisé dans l’entre soi avec quelques happy few parisianistes, mais qu’il rassemble, derrière Irène Silberman, la productrice de tous les derniers films de Bunuel, des acteurs et des techniciens débutants ou presque inconnus. Dominique Pinon et Thuy An-Luu tournent leur premier film, Frédéric Andrei ou Gérard Darmon n’ont que quelques rôles à leur actif, et Richard Bohringer, après un parcours très erratique, récemment stabilisé sur d'obscurs seconds rôles, obtient avec son personnage de gourou et de deus ex machina le rôle de sa vie qui lui ouvrira toutes les portes. C’est la même chose pour la plupart des techniciens, de Philippe Rousselot, qui deviendra après la sortie du film un chef opérateur mondialement recherché à Hilton Mc Connico, dessinateur de mode réputé mais jusqu’alors totalement absent de l’univers du cinéma. Si l’esthétique de Diva est Bobo, faut-il alors tenir Beineix pour l’inventeur du cinéma bobo ?)



J’AIME PAS BEETHOVEN



… Diva, c’est aussi l’œuvre d’un monstre de perfectionnisme. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter tous les témoignages de ceux qui ont fabriqué le film, diffusés sur les excellents suppléments (vraiment excellents) joints au DVD – Vladimir Cosma (contraint de reprendre, reprendre et reprendre sa partition qui ne convenait pas à Beineix) ou le très étonnant (et très drôle) Hilton Mc Connico, créateur des étonnants décors et des costumes du film …


L’image, avec cette dominante profonde de bleu, souvent foncé, ou plus nuancé lors de la promenade des amants au petit matin, dans le petit jour parisien, entre Opéra, jardins du Luxembourg et Place de la Concorde, pour une des scènes cultes du film … Tout le talent de Philippe Rousselot, pour éviter une overdose de bleu, en jouant constamment sur les contrastes, avec des éclairages jaune-orangé, avec des taches violentes à l’intérieur du monochrome (le rouge du ciré du postier), l’utilisation des lanternes chinoises pour tamiser l’éclairage et obtenir une lumière diffuse sur les personnages, l’utilisation du plastic de papeterie pour recouvrir toutes les fenêtres, son art des contre-jours pour sculpter les contours des visages tout en laissant leur plus grande partie dans l’obscurité, son habileté à utiliser les éclairages domestiques, notamment les néons, en particulier lors de la poursuite (une autre scène culte) dans le métro. A la demande de Beineix, Philippe Rousselot recherchera aussi les cadrages insolites (des reflets dans des vitres, jusqu’à en perdre les repères usuels de perspective lors de la traque du postier, du souterrain à la salle de jeux, des reflets dans des lunettes noires, des plans débullés, des plans de coupe très stylisés et ambiancés …). Et il en résulte nombres d’images cultes et inoubliables – Richard Bohringer / Gorovitch dans les vapeurs de sa baignoire, la place de la Concorde à l’heure bleue, les perspectives ouvertes dans les immenses lofts, la symétrie parfaite et vertigineuse de la traction blanche arrivant au phare ou encore la même traction, découverte en demi ensemble, de profil, quand elle s’éloigne du phare, sur une mince bande de terre et sur fond de ciel apocalyptique. Ou enfin toute la séquence, magnifique, dans l’usine désaffectée. Diva est assurément plus qu’un film bleu.
Les décors composés par Hilton Mc Connico, d’autant plus étonnants qu’ils ne requièrent finalement que très peu de moyens, les deux immenses lofts, celui du postier, avec son cimetière de voitures, son monte-charge, ses grandes fresques pop art, celui du gourou, gigantesque, presque désert, avec sa sculpture en mobile, sa baignoire, quelques autres appareils, des sièges dans la pénombre et sa piste pour rollers ; et encore l’appartement de la prostituée, ses éclairages, ses sculptures, le phare …
La musique, la très belle partition de Vladimir Cosma, diverse et parfaitement liée avec les temps d’opéra, l’air de la Wally, célèbre depuis la projection de Diva ; et les volutes du piano qui accompagnent le postier et la diva dans le matin parisien.
Le montage, sans doute ce qui a posé le plus de problèmes à Beineix et à son équipe, avec un peu d’approximations, sans doute, mais une telle complexité finalement maîtrisée, les deux récits entremêlés, les deux histoires de cassettes, mais aussi les cinq duos, qui se croisent, s’effacent, reviennent à la surface, le postier et la diva, les tueurs, les flics, Gorovitch et Alba, les taïwanais mélomaniaques – et enfin peut-être les « j’aime pas « du « curé » (Pinon), pour ponctuer les étapes du récit.



J’AIME PAS TA GUEULE



L’interprétation enfin, pas forcément juste, vaut surtout, également, par son caractère novateur et un jeu très moderne chez les jeunes comédiens, Frédéric Andréi (qui ne rebondira guère après le film), Thuy an-Luu, à l’extrême sensualité et à la diction très particulière, presque chantée, Alors, SuperJules, tu craques ? (et qui ne rebondira pas du tout), Dominique Pinon, son look noir plus outrancier que terrifiant, ses rangers, son écouteur, son quasi mutisme (qui lui fera une belle carrière) et tous jouent de façon si "jeune" qu’ils finissent par ringardiser Jacques Fabbri, le flic ripou, qui seul compose à l’ancienne et se trompe de film. Enfin, planant sur tout ce petit monde, Richard Bohringer / Gorovitch, magnifique en dieu hors la machine, inoubliable, aussi léger que puissant, et son dialogue, ciselé (et les mots comptent aussi dans Diva) :



… Moi … mon Satory, c’est ça … le zen dans l’art de la tartine …
Regarde, tu peux regarder, y’a plus de couteau, y’a plus de pain, y’a plus de beurre, y’a plus qu’un geste qui se répète, un mouvement, l’espace …le vide.



Alors - aimer ou ne pas aimer Diva, à l’image du tueur mauvais coucheur, qui décidément n’aime rien … ?



J’AIME PAS CA



Bien mal lui en prendra – à la toute fin, quand le monte-charge se dérobera sous ses pieds, à la suite d’une ultime blague de Gorovitch / Bohringer qui pourra alors s’esquiver comme s’il n’avait jamais existé. Au reste, le tueur désagréable avait d’ailleurs prévu cette "chute" définitive.



J’AIME PAS LES ASCENSEURS



Peu importe, c'est son affaire. Moi, par contre, j’aime vraiment Diva.

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le 25 janv. 2016

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