Prix de la mise en scène à Cannes au printemps dernier, critiques dithyrambiques : difficile d'appréhender Drive neutre de toute attente. Quand on sait que le film est de plus le petit dernier d'un réalisateur aussi talentueux que protéiforme, son second métrage américain intrigue, obligatoirement, au risque de ne pas totalement convaincre.

Le film s'ouvre magistralement dans les rues de L.A. alors que l'on suit cet homme sans nom jouer au chauffeur lors d'un braquage. A l'exact opposé des cascades de cinéma qu'il réalise la journée, pas de courses poursuites toutes sirènes hurlantes ou de tonneaux sur les bas côtés ici. Le "driver" glisse dans la nuit, se fond dans l'ombre puis s'efface jusqu'à disparaître dans la foule grouillante de la mégalopole californienne. Comme Michael Mann l'avait fait dans Collatéral, Winding Refn donne vie à l'immensité de cette ville en rendant chacune de ses palpitations à l'aide d'un montage excellemment maitrisé.

La première partie se construira du reste entièrement sur ce rythme hypnotisant, réglé aussi minutieusement que la mécanique des voitures que le héros conduit, se focalisant sur le portrait de ce cowboy moderne. Car à la pluralité de ses vies (cascadeur, garagiste, homme de main de la mafia) s'ajoute la duplicité de ses personnalités : homme à la fois détaché du monde et capable d'un amour aussi soudain qu'inconditionnel. Mais la multiplication de ces pistes, loin de faire la lumière sur son caractère, ne le rend à chaque plan que plus énigmatique. Le jeu de Ryan Gosling y est évidemment pour beaucoup, frôlant la perfection tant il arrive en un sourire ou un geste à humaniser ce personnage irréel. Car le "driver" n'a ni passé, ni avenir d'ailleurs. Il n'existe que dans une succession de symboles ultra sexués – le blouson au scorpion, les gants de cuir, la berline – qui confère à Drive une dimension fétichiste fascinante.

Cet aspect se précise dans un second temps lorsque le film bascule dans une extrême violence avec une volonté parfaitement assumée de Winding Refn pour la transcender. Le réalisateur confirme alors ce qu'il avait déjà prouvé précédemment : il excelle dans l'exploration visuelle de la brutalité. Les explosions de crâne à coups de pieds ou l'utilisation des lames qui redonne aux effusions de sang la photogénie qu'elles avaient pu atteindre dans les gialli sont d'une puissance à couper le souffle, que les longs silences viennent intensifier dans d'abruptes ruptures de tons.

Seulement voilà. Si Drive s'avère être d'une beauté formelle indéniable, il présente quelques lacunes dans son scénario ainsi que dans le traitement de ses personnages secondaires. Certes Winding Refn opte sciemment pour une histoire vue et revue – le "driver" plonge dans la sauvagerie afin de protéger la femme qu'il aime – mais il s'enferre dans une description de la mafia trop grossière, qui n'atteint jamais la justesse mordante d'un Scorcese auquel on songe souvent. On regrette donc qu'il n'ait pas poussé plus loin le dépouillement narratif exploré dans Valhalla Rising, ce qui aurait permis à Drive de s'éviter quelques lourdeurs. Constat similaire pour la relation du "driver" et d'Irene tombant parfois dans un romantisme factice, plombé par des séquences trop démonstratives que ne vient pas aider le choix discutable de Carey Mulligan en veuve fragile.

Le film perd alors en intensité à mesure qu'il avance, intensité heureusement retrouvée dans un final qui insuffle à nouveau cette poésie quasi morbide. Et quand bien même on aurait aimé qu'il garde tout du long cette même hauteur, Drive s'impose malgré tout comme une œuvre à part. Winding Refn réalise non seulement un vrai film de genre mais aussi une relecture de tout un pan du cinéma. Il invente, expérimente et livre somme toute une très belle figuration de l'urbanité que vient sublimer un score envoûtant.
Miho
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le 6 oct. 2011

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