Gaspar Noe n’en est pas à son premier coup d’essai. Réalisateur autant adulé que détesté, il explose les frontières balisées d’un cinéma français sclérosé par son auteurisme assourdissant. Nihiliste avec Carne et Seul contre tous, provocateur et voyeuriste avec Irréversible, le réalisateur français va encore plus loin avec Enter the void pour nous cueillir avec un trip sensoriel sous acide complétement névrosé et sentant le souffre jusqu’au bout des ongles. Le mot expérience est un doux euphémisme au regard de cette œuvre vertigineuse, dans tous les sens du terme.

Oscar, jeune dealer de drogue et sa sœur, Linda, stripteaseuse, vivent à Tokyo. Mais un rendez-vous va mal tourner, et Oscar va se faire tuer par la police locale. Son âme va se décrocher de son enveloppe corporelle pour voyager dans son passé, présent et futur. Le film part dans des contrées sur la réincarnation, parlant de la vie, de la mort, et de la prise de drogue (cette dernière, donnant vie à ses scènes hallucinogènes magnifiques).

Amorcer ses films par des situations tumultueuses pour mieux bousculer le spectateur, devient une sorte de marque fabrique chez Noe. Dans son précédent film, Irréversible, le réalisateur nous avait gratifiés de cette scène apocalyptique dans le rectum (boite de nuit gay) où un homme se faisait littéralement exploser le crane à coups d’extincteurs.

Enter The Void, lui, démarre par un générique à la sonorité assourdissante et au visuel psychédélique et hypnotique criblé de couleurs fluorescentes et au jusqu’auboutisme impressionnant. A peine deux minutes de film, et on est déjà dans les cordes. La séquence qui suit, est un plan séquence commençant sur un balcon nous imprégnant de toutes les luminosités de cette ville tokyoïte. On se place en vision subjective (à la place d’Oscar) avec tout un tas de détails captivants (jeux de miroirs, clignements des yeux). Au bout de 5 minutes de film, on se dit qu’on va prendre une grosse claque. Et toute l’œuvre sera de cet acabit. Gaspar Noe n’est pas du genre à faire dans la nuance ou dans les compromis. Il tranche dans le vif, quitte à se faire des ennemis. Soit il montre tout, soit il montre rien (fœtus mort, pénis en érection et en éjaculation etc). Le lieu, du film, Tokyo, n’est pas anodin. Les couleurs criardes jusqu’à l’extrême, l’image granuleuse rendent la ville opaque, limite claustrophobe.

Visuellement, le film est une épreuve de force sidérante démontrant tout le talent de Noe. Par moments, on a l’impression que Noe se fait plaisir et place son film dans de la pure démonstration graphique. Mais, on lui pardonnera rapidement tant la fluidité est incroyable : montage syncopé aux couleurs frénétiques, travellings aériens virevoltants et éreintants, caméra tournoyante jusqu’au bout des perverses nuits nippones, vision subjective blindée d’un perfectionnisme impressionnant. On se dit que le travail en post production n’a pas dû être de tout repos, où chaque plan a été retravaillé.

Enter the void se regarde mais s’écoute aussi. Le travail sur le son est époustouflant fait de bourdonnement drone pour encore mieux nous engouffrer dans ce chaos envahissant. Enter the void est aussi victime de sa force, comme une sorte de talon d’Achille. Toute cette maitrise visuelle et sonore, ses coups de force de mise en scène enlèvent un peu d’émotions à un film, qui pourtant ne manque pas de sensations. Sous cet amas visuel, certains y verront un film futile, et assez vaniteux. A force de vouloir tout retranscrire à l’écran, Noe tombe un peu dans la parodie (la scène de pénétration dans le vagin). Alors que cela pourrait paraitre ennuyeux chez certains réalisateurs, cette frénésie graphique prend malgré tout, tout son sens chez Noe.

Trip sensoriel sous acide, Enter the void est avant tout un film qui se vit avant de se comprendre. Le but du film n’est pas de filmer des personnages au profil hyper développé, à l’aura universelle même si certaines scènes comme celle de leur accident de voiture est une prouesse d’émotion et de mise en scène. Les personnages vivent, errent finalement comme des enveloppes charnelles, dans une noirceur et un vide palpables. On suit les déambulations de l’âme d’oscar, qui tournent autour du lien qui l’unit à sa sœur.

Noe montrera leurs problèmes (avortement), leurs blessures, leurs pulsions, leurs peines dans le fracas le plus total. Enter The void n’est pas fédérateur pour un sous. C’est une œuvre charnelle, personnelle, qui se vit de l’intérieur, au plus profond de nous-mêmes. Malgré ça, un personnage, une actrice arrive à crever l’écran de toute sa splendeur : Paz de la Huerta. Hypnotique, incandescente, sexualisée à son paroxysme, son physique illumine le film de toute sa puissance érotique.

Le film se termine par cette traversée foutraque et perverse dans un bordel « Love Hotel ». Un brin puéril, le sexe (l’orgasme) est une sorte d’obsession chez Noe (son envie de tourner un porno) et on sent qu’il nous balance cette séquence avec fierté et avec grand plaisir. La fin du film, brouille les pistes. Et s’il n’était pas totalement question de réincarnation dans Enter the void ? On voit que l’âme renait sous la forme d’un nouveau-né dont la créatrice est sa propre mère. Comme si la vie se perpétrait à nouveau comme une boucle sans fin. Pour pourquoi pas, enfin, protéger sa sœur comme il l’avait promis et ne pas refaire les mêmes erreurs.

Oui, le film de Noe n’est pas parfait mais sans doute que la perfection est inodore et sans saveur. Ce qui fait la virtuosité de cette œuvre, ce sont aussi ses faiblesses, ses fêlures, une sorte de cinéma total qui n’a qu’un seul but : aller au bout de ses ambitions. Enter the Void n’est pas qu’un simple film, c’est aussi une création dédiée au cinéma et donnant vie à des prouesses techniques ébouriffantes. Long, traumatisant, prétentieux et boursouflé pour certains, monstrueusement incroyable pour d’autres, Enter the void ne laisse personne indifférent. Inoubliable.
Velvetman
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le 16 févr. 2014

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Velvetman

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